À propos d’un reportage de France 2 sur le Baïkal

  • stoprussophobie redaction
  • mardi octobre 9, 2018
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À propos d’un reportage de France 2 sur le Baïkal

photo région d’Irkoutsk

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Carte écologique de 2015

Baïkal : Un sujet important affaibli par la volonté de nuire

Le 25 septembre dernier, à la fin du journal télévisé de 20 heures, France 2 a diffusé un reportage d’un peu plus de quatre minutes sur le Baïkal, sous le titre : “Lac Baïkal – la splendeur de Sibérie
menacée »

Après avoir indiqué que le Baïkal est « le plus ancien et le plus profond lac du monde, qu’il contient à lui seul 20% des réserves d’eau douce de la planète, qu’ici vivent des espèces qu’on ne trouve
nulle part ailleurs, comme ces phoques, nierpas, [que le lac est] un trésor inestimable inscrit au patrimoine mondial de l’humanité », l’auteur du reportage ajoute : « mais un trésor en péril ».
À l’appui de cette affirmation, deux arguments sont avancés, dans le reportage et dans la présentation qui en est faite sur le site de France 2. Le tout vise malheureusement plus à émouvoir dans un certain sens qu’à informer.

Le premier met en cause les carences dans le traitement des déchets dans un contexte de développement important du tourisme « L’origine de cette pollution : les eaux usées des villages qui ne cessent de s’étendre. À Listvianka en 2009, il n’y avait que 8 hôtels, il y en a 82 aujourd’hui. L’unique station d’épuration ne suffit plus à la tâche. Tout ou presque finit dans le lac. Sur les rives, la pollution se développe énormément avec le tourisme massif. Il n’existe dans la région aucun système de tri des ordures ménagères, aucun centre de retraitement performant ».

Images prises par des plongeurs à l’appui, le reportage montre « sur des hectares entiers le long des côtes, ces algues filamenteuses, comme une mousse gluante, des spirogyres. Leur présence massive,
selon les chercheurs de l’Institut de limnologie d’Irkoutsk indique un niveau de pollution élevé .»

Le second argument met en cause une usine ayant été pendant longtemps « la principale source de pollution du lac », « une gigantesque usine de pâte à papier, un monstre datant datant de l’époque
soviétique (…) En un demi siècle elle a rejeté dans les eaux claires du lac des millions de m³ de sulfate, de phénol, de chlore ». Après l’évocation cauchemardesque par un pêcheur de la « mousse
jaunâtre, des cadavres de phoques, toutes sortes de saletés qui flottaient en plein milieu du Baïkal », le reportage mentionne que l’usine a été fermée en 2013, mais que « le site n’a toujours pas été dépollué » .

Un scientifique, « qui étudie depuis des années les effets de ses rejets sur la faune et la flore », prévient qu’existe le risque « qu’un glissement de terrains ne précipite dans le lac les déchets toxiques entreposés dans [ces] bassins de rétention à flanc de colline.»
Le reportage conclut : « On dit du lac Baïkal qu’il est la perle de la Sibérie, mais son éclat est de plus en plus terne. » et ajoute une appréciation sur la politique environnementale du gouvernement :
« Les autorités russes ne semblent toujours pas avoir pris la mesure des dangers qui le menacent. »

Voici donc la Russie montrée du doigt pour atteinte à l’intégrité d’un trésor majeur du patrimoine de l’humanité. Est-ce à juste titre ?
Le reportage ne mentionne évidemment pas que le gouvernement russe vient de reconduire et de compléter jusqu’en 2026 le programme écologique de protection du Baïkal (http://pro-baikal.ru/2018/05/06/state-program-for-the-protection-of-lake-baikal-will-extend-until-2026/). Les autorités locales demandent d’ailleurs une prolongation jusqu’en 2030… Des discussions qui rappellent ce qu’on connait chez nous.

Examinons les éléments essentiels de la démonstration.

Le Baïkal envahi par les spirogyres ?
L’invasion est bien réelle « sur des hectares entiers ». Mais, les vastes espaces que suggère l’expression « hectares entiers » ne constituent, en fait, qu’une minuscule partie des 3 150 000
hectares de la superficie du Baïkal. Il y a bien prolifération de spirogyres – et le phénomène est révélateur d’une pollution, liée effectivement à l’essor touristique. Mais, l’étendue de cette prolifération,
faute d’être rapportée à celle du lac, ne peut être appréciée exactement par le téléspectateur,

Des équipements insuffisants, des autorités qui n’ont pas pris la mesure des dangers menaçant le Baïkal ?
La progression du tourisme est forte. Elle est spectaculaire à Listvianka, point de départ des balades sur le lac. Notons toutefois que la progression annoncée, impressionnante, de 8 à 82 hôtels en 9 ans,
n’est atteinte qu’au prix d’une petite acrobatie comptabilisant comme hôtels les nombreuses chambres d’hôtes…

Il est vrai que la question de l’insuffisance des équipements est aigüe. Elle a été au coeur du Deuxième forum écologique international du Baïkal consacré à l’eau, qui s’est tenu à Irkoutsk les 20
et 21 septembre. Les débats ont porté aussi sur le type d’installation le plus apte à répondre aux normes très strictes imposées par la réglementation sur la protection du lac. (Rappelons, à ce sujet ;
que la visite des stations d’épuration de Lausanne et de Saint-Jean d’Aulps était, avec la question de la création d’un géoparc du Baïkal, au programme de la délégation de l’Oblast d’Irkoutsk venue en
Haute-Savoie à l’invitation d’Eurcasia en mai dernier). La décision, en tout état de cause, interviendra avant la fin du mois d’octobre.

Affirmer que « Les autorités russes ne semblent toujours pas avoir pris la mesure des dangers qui le (Baïkal] menacent. » est donc inexact.

La pollution par l’usine de pâte à papier ?
Pendant cinquante ans, l’usine de Baïkalsk (à l’extrémité sud du lac) a effectivement pollué le Baïkal, même si les effluents n’ont jamais été rejetés directement dans le lac – un important
dispositif de bassins de décantation ayant été mis en place. Les scientifiques de l’Institut de limnologie ont estimé la superficie de la zone polluée à 17 000 hectares. L’importance de la zone
affectée peut donc paraître considérable. Mais pour l’apprécier justement, il faut, là encore, la rapporter aux 3 170 000 hectares de la superficie du Baïkal.
Quant à la question du risque de glissement de terrain qui précipiterait les éléments toxiques entreposés dans les bassins de décantation, elle a fait l’objet de débats auxquels ont participé, aux
côtés de responsables politiques et de chefs d’entreprises, des représentants de la population de la Baïkalsk. Là aussi, le choix de la méthode de dépollution du site sera arrêté – et les travaux,
entrepris – dans les semaines qui viennent.

 

Comme d’habitude, le media a provoqué de l’émotion mais n’a pas informé !

La photographie de la « boue gluante » des spirogyres, les mots tels que « sur des hectares entiers », « mousse jaunâtre », « cadavres de phoques qui flottaient en plein milieu du Baïkal »,
sont efficaces et le reportage de France 2 donne l’image d’un Baïkal gravement pollué dans l’indifférence des autorités. Il est probable que l’émission a sérieusement inquiété, ému, voire
indigné plus d’un téléspectateur. Il est regrettable, qu’elle n’en ait – sérieusement – informé aucun.

Allinges, le 3 octobre 2018
Philippe Guichardaz
Président d’honneur d’Eurcasia auteur de Baïkal Mer sacrée et du Petit dictionnaire illustré du Baïkal