L’Artsakh en feu : Gaz, OTAN et chauvinisme
La guerre au Nagorny-Karabakh : la Russie en ligne de mire
Le cessez-le feu entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie a “limité la casse”
Le cessez-le-feu signé le 9 novembre dernier sous l’égide de la Russie a “sauvé les meubles” pour l’Arménie, malgré le prix élevé dû à la défaite, et pour la Russie.
Pour l’Arménie car après la prise de Choucha, dans le Karabakh, la chute de la capitale Stepanakert était imminente. La Russie a pu obtenir des Azerbaïdjanais qu’ils acceptent d’arrêter l’offensive. Quelle que soit la raison de cette acceptation par les Azéris, il faut reconnaître que la Russie a ainsi pu dans les faits sauver des milliers de vies arméniennes et un Karabakh réduit mais encore existant. Mais la situation est fragile si la conduite de la direction arménienne ne change pas (voir la suite de l’article sur la responsabilité du premier ministre Nikola Pashinyan dans le conflit et la défaite) et que l’immixtion de la Turquie s’aggrave. C’est un risque notamment à cause de la création du couloir vers la province azerbaïdjanaise excentrée du Nakhitchevan, à travers l’Arménie, et des projets britanniques pour la région. Les Britanniques ont investi dans le pétrole en Azerbaïdjan et jouent un rôle important auprès de M. Erdogan. Beaucoup d’Arméniens soupçonnent des relations privilégiées aussi avec le premier ministre arménien Pashinyan.
Pour la Russie aussi, ce cessez-le-feu, limite la casse. Les Russes sont parvenus à ne pas être impliqués directement dans le conflit, alors que c’était vraisemblablement le but de l’opération. Et pas seulement avec des considérations uniquement régionales. Les développements à venir dans le Donbass, la Transdniestrie et peut-être en Asie centrale montreront la validité de cette hypothèse. La Russie est parvenue à ne pas s’enliser dans ce conflit, à préserver son influence et l’existence de l’Arménie malgré tout, en créant une force d’interposition. Elle a pu limiter pour le moment les ambitions ottomanes du président turc, tout en étant contrainte de l’accepter auprès de l’Azerbaïdjan et uniquement dans ce pays, dans un centre de supervision du cessez-le-feu. On ne sait pas encore ce que deviendront les terroristes djihadistes syriens, amenés par les Turcs sur les lieux du conflit qui risquent maintenant de se disperser dans le Caucase et en Asie centrale, surtout s’ils bénéficient d’une aide turque et de services occidentaux. Reste à voir les conséquences pour les transits gaziers et pétroliers et les menées otaniennes contre la Russie, actuellement sous initiative britannique semble-t-il, compte tenu de l’indisponibilité provisoire des Américains. Il reste que ce n’est pas la Russie qui a l’initiative et qu’elle se retrouve dans une attitude purement défensive, face à une offensive qui semble de grande envergure : Biélorussie, Navalny, Karabakh, Donbass, Transdniestrie, Kirghizstan, covid19, taux de change….
Mais pour l’affaire du Karabakh, dont nous laissons le dossier complet ici écrit au moment du conflit, il faut souligner la responsabilité colossale, voire la trahison, comme disent beaucoup d’Arméniens, du Premier ministre “sorosien” Nikola Pashinyan.
Le rôle funeste de Nikola Pashinyan
Nikola Pashinyan, qui est arrivé au pouvoir après le quasi coup d’État du printemps 2018, a commencé à diviser la société arménienne. Arrivé au pouvoir grâce aux voix de personnes mécontentes de la corruption et de l’inefficacité des gouvernements précédents, il a commencé à transformer ses partisans en une secte des “Témoins de Nikola”, déifiant son gourou et ne supportant pas le point de vue des autres. En s’appuyant sur eux, Nikola a commencé à persécuter ses rivaux politiques et banalement à se venger contre eux. Par exemple, avec une constance digne d’un meilleur usage, il tentait inlassablement de mettre en prison l’ancien président Robert Kocharyan pour se venger de l’avoir fait arrêter, lui Pashinyan, en 2010 pour avoir organisé des troubles de masse après les élections présidentielles de 2008. Première tentative de “révolution de couleur”, vraisemblablement téléguidée comme d’habitude.
En divisant la société arménienne, Pashinyan a mené une propagande anti-Karabakh (car à la tête de la république à cette époque, il y avait des gens fidèles à Kocharyan). Et en même temps, il a provoqué l’Azerbaïdjan en disant que “l’Artsakh (le Karabakh) est l’Arménie”, en se rendant à Choucha pour y danser, en faisant d’autres déclarations provocatrices et en refusant même de poursuivre le processus formel de négociations du groupe de Minsk. Même s’il s’agissait de “chauffer des cailloux dans le désert”, comme disait Yasser Arafat qui s’y connaissait en négociations inutiles, il aurait pu s’agir pour l’Arménie de jouer la montre. Bien conscient qu’Ilham Aliyev, le président azéri, se trouvait dans une situation très difficile en raison de la nature douloureuse de la question du Karabakh en Azerbaïdjan, par ailleurs soigneusement entretenue, et que l’électorat pousse Aliyev à la guerre. Il était clair que le président azerbaïdjanais ne pouvait éviter de céder à ces appels que si le Premier ministre arménien se comportait décemment et dans le cadre des formalismes diplomatiques. Une autre conduite contraignait Aliyev à ne pas avoir d’autre choix que de résoudre le conflit par la force.
Pas de Russie, pas d’armée, pas de victoire.
En théorie, il aurait pu s’agir d’un plan astucieux de Pashinyan pour provoquer Bakou dans une guerre que l’Azerbaïdjan perdrait, ce qui permettrait à l’Arménie d’annuler les dispositions défavorables des principes de Madrid, concernant le règlement du Haut-Karabakh. Et en même temps, cela aurait pu unir la société arménienne autour du Nikolaï “le Victorieux”. Cependant, la victoire de l’Arménie n’aurait pas été possible sans le soutien direct de la Russie, or tandis que Pashinyan provoquait Aliyev, il faisait de son mieux pour retourner Vladimir Poutine contre lui-même. Depuis des nominations de responsables (par exemple, en plaçant à la tête des services de sécurité arméniens des agents occidentaux directs notoires comme Argishti Karamyan, qui a commencé à épurer le service de sécurité nationale qui lui avait été confié des cadres pro-russes), jusqu’à une insulte directe à Vladimir Poutine. Pourquoi, lors d’une rencontre avec le président russe en personne (dont dépend quand même en dernier ressort la sécurité et la survie de l’Arménie, rappelons-le), s’enquérir de ses relations avec l’ancien président Robert Kocharyan, obtenir une réponse sous la forme “c’est l’un des anciens chefs d’État avec lesquels je suis toujours ami”, puis retourner à Erevan et faire arrêter immédiatement Kocharyan. Il n’est pas surprenant qu’au début de la guerre récente, provoquée par les Turcs, les Azerbaïdjanais et Pashinyan lui même en fin de compte, le nom du Premier ministre arménien, selon de bonnes sources, “provoquait une véritable allergie” au Kremlin qui n’était pas pressé d’offrir une victoire à Nikola Pashinyan au Karabakh.
Certains peuvent qualifier ce comportement de Pashinyan de stupide et d’irresponsable. Certes, mais comment alors évaluer son comportement pendant la guerre elle-même ? C’est un comportement dont les détails choquants sont maintenant révélés chaque jour. Et si tout le monde était au courant du refus de Pashinyan d’envoyer au moins une demande d’assistance à l’OTSC (dont l’Arménie est membre) après l’attaque lancée par l’Azerbaïdjan contre le territoire arménien (une attaque que Bakou n’a pas démentie), ce n’est que maintenant qu’on a commencé à parler de la réticence du Premier ministre à envoyer au Karabakh le nombre de militaires arméniens suffisant pour tenir le front qui s’effondrait. En fait, durant toutes ces semaines, les armées turco-azerbaïdjanaises et leurs supplétifs des unités de terroristes syriens ont été confrontées au Karabakh aux forces arméniennes du Karabakh lui-même qui ont combattu avec vaillance et à une certaine quantité de volontaires arméniens d’Arménie et de la diaspora. Une passivité étonnante s’est également manifestée sur le front diplomatique. Non seulement Pashinyan a refusé d’abandonner le pouvoir pour la cause de la victoire (après tout, tout le monde comprenait que Poutine ne ferait rien pour aider à la victoire d’un premier ministre russophobe, mais pourrait bien la donner à un général pro-russe). De plus, Pashinyan a également rejeté les différents plans de règlement qui lui ont été proposés au début du conflit avec des conditions bien meilleures que celles d’après la défaite, dont il porte une si lourde responsabilité. Les plans n’impliquaient ni la reddition de Shusha, ni la perte de territoire de la République du Karabakh elle-même, – seulement une partie des districts autour de la république qui avaient été pris lors du conflit du début des années 90. Selon Pashinyan, il s’attendait à pouvoir forcer l’Azerbaïdjan à accepter des conditions plus favorables pour les Arméniens – mais comment est-il possible de forcer l’ennemi, plus riche et mieux armé, sans une armée arménienne et l’aide russe, dont le Karabakh a été privé par la volonté de Pashinyan (et non par sa faute, mais justement par sa volonté) ? Il est clair que le Karabakh était condamné dans une telle configuration. Il semblerait que le Premier ministre lui-même, qui a signé cette honteuse reddition, était condamné. Une personne décente se serait suicidée dans cette situation, mais on attendait au moins de Pashinyan repentir et démission. Cependant non, le “courageux” dirigeant arménien s’est caché de la population pendant deux jours, après avoir signé, puis est passé à l’antenne et … n’a non seulement pas annoncé sa démission, mais a commencé à se justifier. Il a fait porter la responsabilité de la défaite à ses prédécesseurs, a raconté des histoires d’absence de choix, a fustigé les personnes qui osaient s’opposer à lui, et a même appelé au déclenchement d’une guerre civile pour son salut (il a dit aux soldats en première ligne qu’il les attendait “à Erevan pour résoudre enfin le problème de ceux qui gémissent sous les murs”). Et malgré le fait qu’une partie de la population arménienne est restée dans la secte des “Témoins de Nikola”, la plupart des habitants de l’Arménie sont choqués et abasourdis par le comportement du Premier ministre. Sont également sous le choc des représentants de son régime, qui ont commencé à déserter les rangs des Pashinistes. Et non seulement pour déserter, mais aussi pour réfuter les mensonges de Pashinyan. Par exemple, avant la démission volontaire du ministre des affaires étrangères Zohrab Mnatsakanyan, le ministère a déclaré que les paroles de Pashinyan concernant la demande initiale des médiateurs de livrer Choucha aux Azerbaïdjanais ne sont pas vraies : la ville n’a été transférée sous le contrôle de Bakou qu’après une série de défaites des Arméniens et une détérioration des positions de négociation de Erevan. Stimuler une guerre civile n’est plus de la folie, ni même de la soif de pouvoir, mais une politique délibérée visant à affaiblir l’Arménie, à rompre ses relations avec Moscou et à perdre le reste de sa souveraineté. Et si Pashinyan échoue, alors il y a quelqu’un pour le remplacer. On voit déjà un certain nombre de politiciens arméniens appeler à la démission de Pashinyan et se proposer comme leader national. L’actuel président, Armen Sarkissian est le plus actif dans ce sens. Pour un candidat, c’est un candidat ! Un grand ami des Britanniques, qui s’opposent ouvertement à la Russie, qui ont bloqué la résolution du Conseil de sécurité sur le Karabakh et qui ont beaucoup investi en Azerbaïdjan. Sans aucun doute un successeur idéal de Nikola Pashinyan. Mais les Arméniens eux-mêmes le comprennent-ils ? Comprennent-ils que non seulement Nikola Pashinyan est coupable de la défaite de l’Arménie, mais qu’eux-mêmes, qui l’ont élu en 2018, ont fait semblant de ne pas voir son sabotage de l’État arménien ? Se rendent-ils compte que les élections législatives anticipées de 2020, au cours desquelles les politiciens pro-occidentaux se présentent sous le slogan “élisez-nous pour ne pas élire les ex”, peuvent représenter le déjà vu de ces deux dernières années ? La population arménienne est confrontée à un choix très simple. Soit le chef de l’État devient non seulement un dirigeant compétent, mais aussi un homme pro-russe à 100 % qui jouit de la confiance absolue de Vladimir Poutine. Et ce n’est pas nécessairement l’ami personnel du président russe Robert Kocharian, dont l’image en Arménie est ambiguë. Il est possible de trouver un autre homme politique. Soit, ils élisent un Pashinyan 2.0. Et si les Arméniens décident de choisir une nouvelle version de Nikola, un leader pro-occidental qui peut prononcer de belles paroles et faire des choses horribles, dans 5 ans ou avant, de nouvelles menées turques ou azerbaïdjanaises (où les esprits sont échauffés et les haines xénophobes contre les Arméniens entretenues) peuvent survenir, surtout si les alliés et investisseurs du moment y trouvent un intérêt. Une fois encore ceux que Pashinyan sert avec autant de zèle le laisseront tomber ainsi que tout le peuple arménien. Et les Russes qui ont déjà sauvé tant de fois l’Arménie dans l’histoire, et viennent de le faire encore, seront peut-être moins disposés à venir en aide à des gens qui leur crachent au visage. Il ne s’agira peut-être plus des restes du seul Karabakh.
avec Georg Mirzayan
Le vieux, très vieux, conflit autour du Nagorny Karabakh (Artsakh pour les Arméniens), qui s’est rallumé en Septembre-octobre 2020, est vécu comme une question de survie par les Arméniens, majoritaires depuis des siècles dans l’enclave historique attribuée à l’Azerbaïdjan par Staline dans les années 20, après un conflit armé durant la guerre civile dans l’empire russe finissant.
En 1991, à l’implosion de l’URSS, les Arméniens du Nagorny-Karabakh, qui avait le statut de région autonome, se sont proclamés indépendants. Un conflit armé en a résulté que les Arméniens ont remporté, non seulement dans la région autonome mais aussi en prenant sept districts azerbaïdjanais n’en ayant jamais fait partie. En 1994, un cessez-le-feu a été accepté avec la médiation d’un groupe, dit de Minsk, constitué en 1992 par l’OSCE.
Selon l’adage, ce conflit armé à répétition et rebonds est actuellement plein de ces chausse-trappes et d’effets secondaires dont est friand “l’orient compliqué”. Il faut se garder de tout manichéisme qui simplifierait tout au premier abord.
A première vue, il y a dans ce conflit, opposition ou contradiction de deux principes du droit international de manière irréconciliable : celui de l’inviolabilité de frontières internationalement reconnues et celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le Karabakh est loin d’être le seul cas où une telle situation se présente et dégénère en conflit ouvert.
Le plus souvent, le conflit est d’autant plus insoluble et grave, sanguinaire, qu’il est plus ancien et que chez les deux parties opposées, certains trouvent un intérêt à la situation et/ou que des parties tierces voient aussi un bon prétexte à une immixtion à leur profit. Cette dernière se fait généralement aux dépens des deux parties du différend car leur population sert de chair à canon, même si l’une des deux finit par en profiter au moins temporairement. Et l’objectif du conflit n’est pas forcément celui qui paraît évident.
C’est malheureusement le cas pour le Haut-Karabakh : les gouvernants des deux côtés jouent du Karabakh pour détourner leurs populations de problèmes de politique intérieure. Des intérêts extérieurs économiques (énergétiques gaziers) et surtout géopolitiques viennent mettre de l’huile sur le feu et jouent d’un billard à plusieurs bandes. Par-delà l’Arménie et l’Azerbaïdjan dont les ressortissant meurent, c’est la Russie qui est visée, et la Turquie qui joue les uns et les autres pour ses ambitions ottomanes.
Le plus souhaitable serait bien sûr un arrangement diplomatique exigeant un minimum de bonne volonté des deux parties pour trouver une solution de type principauté d’Andorre par exemple. Cela pourrait être une souveraineté partagée pour le territoire contesté. Dans le cas de l’Artsakh, un dignitaire azéri pour préserver l’aspect juridique et le Catholicos (Patriarche) de Etchmiadzin (centre religieux arménien) pour le pouvoir réel.
Aucune des deux parties ne veut pour le moment envisager une solution pacifique. Le pouvoir azéri ne peut pas se permettre de sortir sans un semblant de victoire après les décennies de propagande chauvine anti-arménienne qu’il a déployée. Il y a eu près d’un million de réfugiés du Karabakh après la victoire arménienne. Ils sont dans l’ensemble installés aujourd’hui en Azerbaïdjan d’où des Arméniens avaient été chassés lors de pogroms, notamment à Stepanakert. Les Arméniens considèrent qu’ils veulent vivre au pays et considèrent les Azéris comme des Turcs, prêts à continuer le génocide de 1915.
Les choses se sont compliquées depuis 2018, où en raison d’une “révolution de couleur” sorosienne, un pouvoir anti-russe pro-otanien s’est installé à Erevan, tout en continuant à bénéficier du bouclier russe qui a sauvé les Arméniens dans l’Histoire, grâce à une alliance maintenue. Mais le pouvoir pro-occidental se prête à des manœuvres relevant de la géopolitique du “containement” américain anti-russe, notamment en matière de gazoducs.
Le groupe de Minsk est composé de 13 pays, dont les deux protagonistes et au premier rang des tiers : la Russie, la France, les Etats-unis et la Turquie. Cette dernière est maintenant refusée par la partie arménienne, en raison de son implication directe dans le conflit armé. Ce groupe de Minsk est un format disposant du mandat de négociation de l’OSCE avec la reconnaissance, à défaut de soutien, de l’ONU et de l’UE. Le groupe de Minsk a organisé plusieurs conférences et sommets sur le sujet sans jamais aboutir à rien.
C’est au nom de l’appartenance à ce groupe, que le président Emmanuel Macron a lancé un avertissement en octobre à la Turquie, alors qu’il était en tournée ouvertement hostile à la Russie dans les pays baltes. Il y ignorait les atteintes à la démocratie contre les “non-citoyens” russophones et la fermeture des écoles en russe en Lettonie, ainsi que les déclarations favorables à la mémoire des SS lettons de certains responsables gouvernementaux lettons. Il dénonçait en revanche le président biélorusse Alexandre Loukachenko….
A propos du conflit sud-caucasien, il a dénoncé à juste titre l’utilisation de mercenaires djihadistes amenés de Syrie par les Turcs pour combattre aux côtés des Azéris. Il a souligné le danger que cette présence de combattants islamistes confirmésь amenés de la région d’Idlib, représentait aussi pour la Russie… Étrange sollicitude. Certes justifiée mais assez contradictoire avec le voyage très hostile qu’il était en train d’accomplir aux frontières de la Russie, où il encourageait des opposants biélorusses émigrés en Lituanie, dont la représentativité est pour le moins douteuse et qui sont ouvertement proches de la Pologne et de l’Otan, contre la Russie et vraisemblablement de l’intégrité de leur propre pays.
Bien sûr, ces terroristes sont aussi dangereux pour nous que pour la Russie. L’une des raisons de l’intervention russe en Syrie était précisément le danger que représentaient les quelque 10.000 djihadistes, originaires du Caucase et d’Asie centrale qui combattaient en Syrie, avec le soutien en armes et en argent de certains pays arabes et malheureusement occidentaux. Comme ces djihadistes sont déclarés criminels en Russie, cette dernière peut légitimement les poursuivre. C’est donc une façon de pousser la Russie à s’impliquer dans le conflit.
Donc non seulement à perdre ses relations d’amitié avec l’Azerbaidjan, mais aussi à se heurter à la Turquie, avec laquelle elle est parvenue, non sans peine, à des accords au point de lui vendre des missiles S400, à installer chez elle un terminal gazier qui ne semble pas être un franc succès, à plus ou moins réguler provisoirement le guêpier terroristes djihadiste à Idlib en Syrie et à poursuivre des échanges économiques gagnant-gagnant. Ceci, après une période de froid dûe à un avion russe abattu en Syrie par les Turcs, mécontents de voir les trafics pétroliers du fils d’Erdogan génés par l’armée russe.
Mais en revanche Russie et Turquie s’opposent sur le règlement en Syrie, sur la Libye et peut-être sur les prétentions gazières du président Erdogan en Méditerranée. Où la France aussi se heurte à l’aspirant sultan ottoman, en prenant le parti de la Grèce et de Chypre, ce qui crée une tension au sein de l’OTAN, puisque la Grèce et la Turquie en sont membres ainsi que la France.
Faire un contre-feu à cette tension inter-otanienne et piéger la Russie, s’avère donc un objectif que ne renient pas les éléments du deep state américain, malgré ou en profitant des soucis électoraux de Donald Trump. D’autant que l’objectif, qui s’inscrit dans la stratégie de containment de la Russie, qui a retrouvé dans la région de nouvelles possibilités après la victoire de Nikola Pachinian, devenu premier ministre en Arménie. Il y chasse petit à petit tout le personnel politique traditionnellement pro-russe, prend des mesures contre l’enseignement du russe, et laisse s’installer une ambassade états-unienne colossale, véritable base militaire d’importance dans le sud Caucase, en plus de tout ce qu’il y a déjà en Géorgie. En revanche, comme de coutume, la politique de “compradore” des Etats-unis ne rapporte pas à la prospérité du pays et le niveau économique de l’Arménie a encore baissé. Ce qui peut aussi justifier une soupape nationaliste risquée vers l’extérieur.
Le conflit arméno-azéri, gelé depuis des années a commencé à se rallumer en juillet 2020. Et pas du tout au Karabakh. Dans les régions du Tavush (Arménie) et de Tovuz (Azerbaïdjan). Les escarmouches et drones ont quand même fait 16 morts autour du gazoduc qui désignait semble-t-il la cause réelle de l’incident. Car l’enjeu gazier dans cette affaire est aussi très présent. En plus des ambitions turques en Méditerranée, il y a le vieux projet américain de gazoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (en Turquie), appelé aussi Nabucco, qui pomperait le pétrole-gaz de Turkménie, du Kazakhstan et d’Azerbaïdjan et surtout qui contournerait la Russie et permettrait de la couper de ses clients du sud européen. La Russie était parvenue à déjouer ce plan il y a quelques années. Mais les Américains n’ont pas renoncé et ont notamment forcé la Bulgarie à refuser le passage du gazoduc russe, dit du south stream, qui devait aboutir à Vienne et au-delà. D’où la réponse russe de construction du “turkish stream” en 2019. Avec les perspectives de gaz en Méditerranée et les problèmes de la Russie créés en Biélorussie, la relance du projet Nabucco semble avoir été décidée. Pour cela, il faut gagner l’Azerbaïdjan contre la Russie. Or impliquer cette dernière dans la guerre pour défendre, comme elle l’a toujours fait, l’Arménie chrétienne contre les musulmans turcs, en vertu de l’accord de défense eurasiatique, dont fait toujours partie l’Arménie mais plus l’Azerbaïdjan, est un objectif évident. Moscou a bien sûr vu le piège et c’est pourquoi, elle fait tout pour éviter que la guerre touche juridiquement à l’Arménie elle-même et reste cantonnée à la république non-reconnue de l’Artsakh. Faute de quoi, l’accord de défense l’obligerait à intervenir. C’est ce que cherchent les Etats-unis, en jouant un jeu peu clair avec le gouvernement de Erevan, et la Turquie aujourd’hui, notamment en important des djihadistes.
Pour le moment, l’Azerbaïdjan ne semble pas vouloir se prêter à la manoeuvre. Malgré sa fraternité linguistique avec la Turquie, l’Azerbaïdjan est un pays, carrefour de trois empires : l’ottoman, le perse et le russe. Du premier, il a la langue, du second, la religion chiite et quelque 30 millions de compatriotes azéris en Iran (qui dans le conflit actuel défend plutôt l’Arménie et ne voit pas d’un bon oeil les djihadistes salafistes), du troisième il a l’histoire récente, la langue aussi et la zone économique. En jouant des trois empires, il se garantit une certaine indépendance. Grâce à ses ressources pétrolières, l’Azerbaïdjan, largement laïque, est mieux équipé militairement que l’Arménie mais son armée est évidemment moins motivée, malgré la haine de l’Arménien cultivée depuis des années, que les Arméniens qui défendent leur existence même.
Ce conflit est terriblement dangereux à cause du jeu des alliances. Les forces qui l’ont provoqué cette fois risquent une nouvelle fois d’apporter la désolation dans toute la région voire plus. Les Arméniens et les Azéris meurent. Les djihadistes se renforcent. La Turquie est lancée dans les rêves ottomans de son président pour l’accomplissement desquels elle n’aura peut-être pas les moyens si ses anciens sujets grecs et arabes résistent comme les Arméniens.
La Russie est dans une position terriblement délicate, prise entre ses deux anciens compatriotes et amis soviétiques et victime du piège qui lui est tendu par ses “partenaires” occidentaux. Ces derniers espèrent retirer de l’affaire un affaiblissement de la Russie, du gaz, la vassalité du pouvoir azéri et un retournement turc, avec une détente, problématique, au sein de l’OTAN en Méditerranée, grâce à la tension contre l’ennemi commun russe.
Les Arméniens, qui ont peut-être été utilisés comme détonateurs à cause de leurs dirigeants, risquent encore d’être les grands perdants malgré la vaillance de leurs soldats. Compte tenu de l’importance de la communauté arménienne en France et de la solidarité avec les chrétiens d’Orient, les dirigeants français feraient bien de considérer tous ces aspects avant de servir les intérêts des autres, en allant renforcer dans les pays baltes le bras nord de la tenaille destinée à se resserrer sur la Russie. Le Caucase sud à feu et à sang, c’est le risque de contagion au nord Caucase. Dans notre situation actuelle de catastrophe économique imminente après la crise sanitaire, ce n’est pas forcément souhaitable pour notre partie de l’Europe.
DK
Voici des éléments complémentaires fourni par A. Troubetzkoï de l’Alliance franco-russe. Les tentatives de cessez-le-feu n’étaient toujours pas appliquées au début novembre.
Haut Karabakh
Comme nous l’indiquions dans nos « Brèves de Russie 41 », les ministres des affaires Etrangères d’Arménie, Zohrab Mnatsakanyan, et d’Azerbaïdjan, Jeyhun Bayramov, se sont réunis vendredi 9 octobre autour du ministre russe Sergei Lavrov. La réunion avait été organisée suite à des conversations téléphoniques entre le président russe, le président azéri et le premier ministre arménien (le régime arménien est semi-présidentiel).
Après onze heures de négociations, les parties se sont mises d’accord sur les points suivants :
– mise en œuvre d’un cessez-le-feu « humanitaire » le 10 octobre à 12h00 heure de Moscou destiné à favoriser l’échange de prisonniers et des dépouilles des morts
– les dispositions spéciales du cessez-le-feu doivent encore être négociées
– le format des négociations pour le règlement du conflit reste le même, à savoir le « groupe de Minsk ». Ce groupe comporte un grand nombre de pays, mais il a délégué le pouvoir de négociation aux trois pays co-présidents, la Russie, les Etats-Unis et la France
Le cessez-le-feu n’a pas été totalement respecté ces deux derniers jours, comme c’est malheureusement le cas dans ce genre de situation. Serguei Lavrov l’a constaté dès dimanche, les deux pays protagonistes se rejetant mutuellement la responsabilité comme c’est également malheureusement très souvent le cas.
De son côté, le ministre russe a annoncé avoir parlé à plusieurs reprises à son homologue turc, Mevlut Cavusoglu pour lui signaler que la Russie comptait sur le soutien de la Turquie dans cette affaire. Les autorités turques ont en effet déclaré qu’elles soutiendraient l’Azerbaïdjan aussi bien autour de la table de négociations que sur le terrain. Joignant le geste à la parole, elles ont fourni aux troupes Azéri, entre autres matériels militaires, des drones qui ont déjà fait leurs preuves en Libye, contre le maréchal Haftar, et confirment leur efficacité sur les terrains escarpés où se déroulent les combats aujourd’hui, donnant une nette supériorité aux Azéris. La Turquie poursuit en cela la politique expansionniste voulue par son président Reccep Tayyip Erdogan.
Israël vend également des drones et d’autres matériels militaires. Il s’agit essentiellement de ventes, mais les Israéliens ne sont pas mécontents d’affaiblir l’Arménie, partenaire économique de l’Iran.
De leur côté, les puissances occidentales suivent leur inclination naturelle à chercher à nuire à la Russie, au moins indirectement, sans se rendre compte de la situation réelle.
Le conflit risque de prendre un tour régional puisque l’Iran qui a des frontières communes avec les deux Etats belligérants, commence à menacer après avoir reçu sur son territoire des missiles azéris. On notera qu’il y a plus d’Azéris vivant en Iran qu’en Azerbaïdjan même, mais malgré cela, l’Iran soutient plutôt son voisin et client chrétien que l’Azerbaïdjan musulmane. Il faut dire que la politique néo-ottomane de la Turquie représente un danger pour toute la région y compris l’Iran.
On voit bien que ce conflit, officiellement entre l’Azerbaïdjan et la république (non reconnue) du Nagorno-Karabakh, est, en réalité, quelque chose de beaucoup plus compliqué. Car il faut aussi noter que la Turquie est membre de l’OTAN, alors que l’Arménie est membre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (en anglais CSTO, – qui comprend, outre l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan). Les possibilités théoriques d’expansion du conflit ont de quoi effrayer. On notera toutefois que le Nagorno-Karabakh ne fait pas partie de l’Arménie qui ne l’a d’ailleurs pas officiellement reconnu, et ne tombe donc pas sous la protection de l’OTSC et que, tout le temps qu’il n’y a pas d’attaques sur le sol turc, l’OTAN n’a pas de raisons de s’en mêler.
La Russie pèse de tout son poids pour calmer ce conflit, tout en comprenant que la situation va longtemps rester difficile à gérer en raison l’enclave du Haut Karabakh située en Azerbaïdjan certes, mais peuplée par une majorité d’arméniens depuis des siècles.
La sympathie du peuple russe va plutôt à l’Arménie, pays chrétien, mais il réalise que ce pays occupe une part du territoire Azéri conquise en 1994 : la bande de terrain qui sépare le Nagorono-Karabakh de l’Arménie. D’autre part, le premier ministre Nikol Pachinian soutenu par l’Occident et en particulier les USA, et l’Open Foundation de George Soros affiche ouvertement des positions anti-russes.
Il est probable que s’il a accepté la réunion de Moscou, c’est parce que l’armée de Baku a modifié sa stratégie militaire et semble prendre le dessus sur le terrain grâce aux drones.
On craint par ailleurs que le Nakhitchevan, autre territoire de conflit ne s’embrase à son tour. En effet cette région est peuplée d’Azéris et se trouve de l’autre coté de l’Arménie par rapport à l’Azérbaidjan.
A Troubetzkoï