L’incident naval de Kertch : un problème de politique intérieure de Kiev
Les bâteaux ukrainiens arraisonnés le 25 novembre amarrés à Kertch
source : http://kerch.com.ru/articleview.aspx?id=78305
photo KERCH.COM.RU
La «capture de marins ukrainiens» dans le détroit de Kertch, un nouveau spectacle
Le 25 novembre dernier, trois navires de guerre ukrainiens, le Berdiansk, le Nikopol et le Jani Kapou se sont livré à une violation délibérée des eaux territoriales russes pendant plusieurs heures. Lorsque leurs manoeuvres ont été jugées dangereuses, ils ont été arrétés et saisis par la marine russe. Un marin ukrainien a été blessé et emmené à l’hôpital. Dans les documents saisis sur les bâteaux et selon les déclarations des marins ukrainiens interpellés, il s’avère qu’il s’agissait d’une provocation préméditée par le pouvoir de Kiev. Bien sûr, notre presse et les médias occidentaux ne donnent qu’un version parcellaire, favorable aux affirmations kiéviennes. Vincent Parlier pour stoprussophobie examine les raisons possibles de cette manoeuvre du régime kievien.
Voici l’histoire d’une affaire qui commence à faire beaucoup de bruit, alors que le récit rapporté reste succinct au point de sembler ridiculement irréaliste : Il était une fois trois navires de guerre ukrainiens qui passaient tranquillement, comme avant, dans le détroit de Kertch (passage entre la mer Noire et la mer d’Azov). Soudain, ils furent capturés par les Russes…
Certains expliquent même la cause de la dite capture d’une manière suffisamment embrouillée pour que l’on croie que c’est depuis le rattachement de la Crimée à la Russie que des restrictions s’imposent. En vérité, il n’en est rien, ce qui est même confirmé par Sébatsien Cochard [1], ancien diplomate et conseiller international : Depuis 2003, l’Ukraine et la Russie ont défini ensemble un protocole bien précis pour le passage dans le détroit de Kertch qui présente de nombreux risques à cause de sa faible profondeur. Même après 2014, le droit international sur le passage des détroits maritimes et ce protocole ont continué d’être respectés, permettant ainsi le passage régulier de navires ukrainiens. Jusqu’à cet incident. De plus, les eaux territoriales dans lesquelles le litige a eu lieu sont reconnues russes par tous depuis bien longtemps, bien avant le rattachement de la Crimée [1]. Encore une opération de spectacle international ? Montée par qui ?
Comment le passage du détroit de Kertch est organisé habituellement
Depuis 2003, tout navire transitant par le détroit de Kertch respecte le protocole suivant : Une demande est adressée au port russe responsable de la prise en charge, puis le navire est accompagné afin de suivre l’itinéraire le plus sûr. Remarquons au passage que si le pont de Kertch (aussi appelé « pont de Crimée ») ne permet le passage des bateaux que dans une zone restreinte c’est bel et bien parce que c’est là que la profondeur est suffisante. Il n’y a donc absolument rien qui a changé depuis 2003 pour la navigation, contrairement à ce qui est perpétuellement répété par la propagande ukrainienne à usage intérieur.
Il est donc difficile d’expliquer l’incident récent autrement que par une provocation délibérée de la part des autorités ukrainiennes. Car prétendre à une innocente preuve d’incompétence de la part de la marine ukrainienne à ce niveau serait une insulte trop cavalière et irrévérencieuse, même pour l’auteur de ces présentes lignes. Du reste, les marins interpellés l’ont reconnu, même si leur situation de prisonniers ne permet pas de considérer cette source comme fiable à 100%.
Une provocation, mais dans quel but ?
Pour quelle raison trois navires de guerre ukrainiens ont-ils été envoyés faire à l’improviste des ronds dans l’eau en plein milieu du détroit de Kertch pour entrer par la même occasion dans les eaux territoriales russes du côté continental ?
– Une déclaration de guerre ? Il semble que ce ne soit pas encore le but, le pouvoir de Kiev ayant pris l’habitude de jouer à « faire semblant » depuis maintenant quatre années révolues, à grand coups de propagande outrancière et haineuses dans ses médias. Malheureusement fréquemment reprises par nos médias.
La facilité avec laquelle les navires ont été arraisonnés (même si les détails manquent) montre d’ailleurs que les marins ukrainiens n’avaient pas réellement l’intention de combattre, même si selon les Russes, ils avaient mis leurs canons en position de combat. Le but ne pouvait donc qu’être bel et bien d’être arraisonnés par les Russes, avec un risque sans doute secrétement souhaité de mort d’hommes, afin de remettre au premier plan la crise ukrainienne dans les affaires internationales.
Mais, et peut-être encore plus, s’agit-il d’une occasion pour le président Petro Porochenko de régler quelques problèmes intérieurs par la promulgation d’une loi martiale, juste avant des élections.
On peut en évaluer quelques uns.
Premièrement, des troubles et soulèvements sont à prévoir même dans les territoires tenus par Kiev pour plusieurs raisons : Il y a les interventions autoritaires du pouvoir pour imposer une nouvelle église d’État [2] récemment improvisée à partir de sectes néo-orthodoxes dans un pays où ce problème était déjà très sensible. Ce schisme religieux organisé contre la volonté de l’église orthodoxe majoritaire en Ukraine, comprend aussi un aspect foncier. Il s’agit pour les partisans du régime kiévien de mettre la main sur des églises et des monastères et leurs terrains appartenant à l’église ukrainienne placée sous la juridiction canonique du patriarcat de Moscou (cf nos artcles sur le sujet). Ces raids contre les églises risquent de donner lieu à des incidents graves.
Mais aussi il y a 5 % des villes dans lesquelles le chauffage n’est toujours pas assuré [3] en ce mois de novembre !
Les élections approchent et Porochenko n’a aucune chance d’être réélu, en supposant que ces élections soient à peu près régulières dans les régions où elles se tiendront. Même si la plupart de ses concurrents autorisés (du moins de fait) sont sur la même ligne que lui quant aux relations russo-ukrainiennes et à la gestion de l’insurrection anti-Maïdan du Donbass, ils demeurent des concurrents. Les autres candidats qui pensent différemment ont été écartés. Il est aussi possible que les commanditaires de Washington préfèrent leur ancienne égérie Yulia Timochenko (dite la fée du gaz en Ukraine en raison de son enrichissement lié au gaz russe dans le passé) à Porochenko. Le jeu pour ce dernier est de les convaincre qu’ils doivent le conserver, les autres pouvant prendre trop d’indépendance. Ainsi, un bon prétexte pour la promulgation de la loi martiale est tout à fait bien venu, puisque cela peut contribuer à influencer les maîtres d’Outre-Atlantique, voire à empêcher la tenue d’élections en cas de prolongation.
Toujours voir les américains derrière tout ? Pourquoi pas !
Aborder une préférence de Washington pour Porochenko dans ces quelques lignes suppose au moins l’évocation d’une approbation des Etats-Unis, si ce n’est la demande, pour monter cette dernière opération spectacle. Serait-ce voir trop d’Américains partout ?
Il semble finalement que que non étant donné la façon dont l’affaire a été reprise par les officiels américains, leur président générateur de tweets ayant lui-même été sans doute contraint de mettre la main à la pâte, même si l’initiative, comme souvent vient d’autres profondeurs. On évoque déjà des nouvelles sanctions, ce qui va dans la continuité de la guerre économique globale engagée sur de multiples fronts par les Etats-Unis contre la Russie, la Chine et leurs alliés.
Et n’oublions pas que l’un des buts pour les USA est d’empêcher à tout prix la construction des nouveaux gazoducs reliant la Russie à l’Europe. L’annulation de la rencontre mi-officielle Trump Poutine à Buenos Aires est anecdotique. Les Britanniques dans leur nouveau rôle post-brexit se sont excités (cf. la BBC). L’Union Européenne a quant-à-elle pris l’habitude d’obéir. Mais nous sommes arrivés à un point où une certaine fatigue se fait sentir : Pourfendre les affreux russes, elle connaît et elle approuve, mais jusqu’à quel niveau de sacrifices ? Quand on sait déjà que l’Europe a plus pâti des sanctions anti-russes [4] que la Russie elle-même, et que la France connaît des soulèvements populaires de plus en plus massifs en cette période de vaches maigres…
Vincent Parlier
[2] https://www.youtube.com/watch?v=q4Gk7yzR5k4 et https://www.youtube.com/watch?v=U9l863NAKPU .
[4] https://ruptures-presse.fr/actu/cout-sanctions-contre-moscou-etats-unis-union-europeenne/ .