Le cessez-le feu entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie a “limité la casse”
Le cessez-le-feu signé le 9 novembre dernier sous l’égide de la Russie a “sauvé les meubles” pour l’Arménie, malgré le prix élevé dû à la défaite, et pour la Russie.
Pour l’Arménie car après la prise de Choucha, dans le Karabakh, la chute de la capitale Stepanakert était imminente. La Russie a pu obtenir des Azerbaïdjanais qu’ils acceptent d’arrêter l’offensive. Quelle que soit la raison de cette acceptation par les Azéris, il faut reconnaître que la Russie a ainsi pu dans les faits sauver des milliers de vies arméniennes et un Karabakh réduit mais encore existant. Mais la situation est fragile si la conduite de la direction arménienne ne change pas (voir la suite de l’article sur la responsabilité du premier ministre Nikola Pashinyan dans le conflit et la défaite) et que l’immixtion de la Turquie s’aggrave. C’est un risque notamment à cause de la création du couloir vers la province azerbaïdjanaise excentrée du Nakhitchevan, à travers l’Arménie, et des projets britanniques pour la région. Les Britanniques ont investi dans le pétrole en Azerbaïdjan et jouent un rôle important auprès de M. Erdogan. Beaucoup d’Arméniens soupçonnent des relations privilégiées aussi avec le premier ministre arménien Pashinyan.
Pour la Russie aussi, ce cessez-le-feu, limite la casse. Les Russes sont parvenus à ne pas être impliqués directement dans le conflit, alors que c’était vraisemblablement le but de l’opération. Et pas seulement avec des considérations uniquement régionales. Les développements à venir dans le Donbass, la Transdniestrie et peut-être en Asie centrale montreront la validité de cette hypothèse. La Russie est parvenue à ne pas s’enliser dans ce conflit, à préserver son influence et l’existence de l’Arménie malgré tout, en créant une force d’interposition. Elle a pu limiter pour le moment les ambitions ottomanes du président turc, tout en étant contrainte de l’accepter auprès de l’Azerbaïdjan et uniquement dans ce pays, dans un centre de supervision du cessez-le-feu. On ne sait pas encore ce que deviendront les terroristes djihadistes syriens, amenés par les Turcs sur les lieux du conflit qui risquent maintenant de se disperser dans le Caucase et en Asie centrale, surtout s’ils bénéficient d’une aide turque et de services occidentaux. Reste à voir les conséquences pour les transits gaziers et pétroliers et les menées otaniennes contre la Russie, actuellement sous initiative britannique semble-t-il, compte tenu de l’indisponibilité provisoire des Américains. Il reste que ce n’est pas la Russie qui a l’initiative et qu’elle se retrouve dans une attitude purement défensive, face à une offensive qui semble de grande envergure : Biélorussie, Navalny, Karabakh, Donbass, Transdniestrie, Kirghizstan, covid19, taux de change….
Mais pour l’affaire du Karabakh, dont nous laissons le dossier complet ici écrit au moment du conflit, il faut souligner la responsabilité colossale, voire la trahison, comme disent beaucoup d’Arméniens, du Premier ministre “sorosien” Nikola Pashinyan.
Le rôle funeste de Nikola Pashinyan
Nikola Pashinyan, qui est arrivé au pouvoir après le quasi coup d’État du printemps 2018, a commencé à diviser la société arménienne. Arrivé au pouvoir grâce aux voix de personnes mécontentes de la corruption et de l’inefficacité des gouvernements précédents, il a commencé à transformer ses partisans en une secte des “Témoins de Nikola”, déifiant son gourou et ne supportant pas le point de vue des autres. En s’appuyant sur eux, Nikola a commencé à persécuter ses rivaux politiques et banalement à se venger contre eux. Par exemple, avec une constance digne d’un meilleur usage, il tentait inlassablement de mettre en prison l’ancien président Robert Kocharyan pour se venger de l’avoir fait arrêter, lui Pashinyan, en 2010 pour avoir organisé des troubles de masse après les élections présidentielles de 2008. Première tentative de “révolution de couleur”, vraisemblablement téléguidée comme d’habitude.
En divisant la société arménienne, Pashinyan a mené une propagande anti-Karabakh (car à la tête de la république à cette époque, il y avait des gens fidèles à Kocharyan). Et en même temps, il a provoqué l’Azerbaïdjan en disant que “l’Artsakh (le Karabakh) est l’Arménie”, en se rendant à Choucha pour y danser, en faisant d’autres déclarations provocatrices et en refusant même de poursuivre le processus formel de négociations du groupe de Minsk. Même s’il s’agissait de “chauffer des cailloux dans le désert”, comme disait Yasser Arafat qui s’y connaissait en négociations inutiles, il aurait pu s’agir pour l’Arménie de jouer la montre. Bien conscient qu’Ilham Aliyev, le président azéri, se trouvait dans une situation très difficile en raison de la nature douloureuse de la question du Karabakh en Azerbaïdjan, par ailleurs soigneusement entretenue, et que l’électorat pousse Aliyev à la guerre. Il était clair que le président azerbaïdjanais ne pouvait éviter de céder à ces appels que si le Premier ministre arménien se comportait décemment et dans le cadre des formalismes diplomatiques. Une autre conduite contraignait Aliyev à ne pas avoir d’autre choix que de résoudre le conflit par la force.
Pas de Russie, pas d’armée, pas de victoire.
En théorie, il aurait pu s’agir d’un plan astucieux de Pashinyan pour provoquer Bakou dans une guerre que l’Azerbaïdjan perdrait, ce qui permettrait à l’Arménie d’annuler les dispositions défavorables des principes de Madrid, concernant le règlement du Haut-Karabakh. Et en même temps, cela aurait pu unir la société arménienne autour du Nikolaï “le Victorieux”. Cependant, la victoire de l’Arménie n’aurait pas été possible sans le soutien direct de la Russie, or tandis que Pashinyan provoquait Aliyev, il faisait de son mieux pour retourner Vladimir Poutine contre lui-même. Depuis des nominations de responsables (par exemple, en plaçant à la tête des services de sécurité arméniens des agents occidentaux directs notoires comme Argishti Karamyan, qui a commencé à épurer le service de sécurité nationale qui lui avait été confié des cadres pro-russes), jusqu’à une insulte directe à Vladimir Poutine. Pourquoi, lors d’une rencontre avec le président russe en personne (dont dépend quand même en dernier ressort la sécurité et la survie de l’Arménie, rappelons-le), s’enquérir de ses relations avec l’ancien président Robert Kocharyan, obtenir une réponse sous la forme “c’est l’un des anciens chefs d’État avec lesquels je suis toujours ami”, puis retourner à Erevan et faire arrêter immédiatement Kocharyan. Il n’est pas surprenant qu’au début de la guerre récente, provoquée par les Turcs, les Azerbaïdjanais et Pashinyan lui même en fin de compte, le nom du Premier ministre arménien, selon de bonnes sources, “provoquait une véritable allergie” au Kremlin qui n’était pas pressé d’offrir une victoire à Nikola Pashinyan au Karabakh.
Certains peuvent qualifier ce comportement de Pashinyan de stupide et d’irresponsable. Certes, mais comment alors évaluer son comportement pendant la guerre elle-même ? C’est un comportement dont les détails choquants sont maintenant révélés chaque jour. Et si tout le monde était au courant du refus de Pashinyan d’envoyer au moins une demande d’assistance à l’OTSC (dont l’Arménie est membre) après l’attaque lancée par l’Azerbaïdjan contre le territoire arménien (une attaque que Bakou n’a pas démentie), ce n’est que maintenant qu’on a commencé à parler de la réticence du Premier ministre à envoyer au Karabakh le nombre de militaires arméniens suffisant pour tenir le front qui s’effondrait.
En fait, durant toutes ces semaines, les armées turco-azerbaïdjanaises et leurs supplétifs des unités de terroristes syriens ont été confrontées au Karabakh aux forces arméniennes du Karabakh lui-même qui ont combattu avec vaillance et à une certaine quantité de volontaires arméniens d’Arménie et de la diaspora. Une passivité étonnante s’est également manifestée sur le front diplomatique. Non seulement Pashinyan a refusé d’abandonner le pouvoir pour la cause de la victoire (après tout, tout le monde comprenait que Poutine ne ferait rien pour aider à la victoire d’un premier ministre russophobe, mais pourrait bien la donner à un général pro-russe).
De plus, Pashinyan a également rejeté les différents plans de règlement qui lui ont été proposés au début du conflit avec des conditions bien meilleures que celles d’après la défaite, dont il porte une si lourde responsabilité. Les plans n’impliquaient ni la reddition de Shusha, ni la perte de territoire de la République du Karabakh elle-même, – seulement une partie des districts autour de la république qui avaient été pris lors du conflit du début des années 90.
Selon Pashinyan, il s’attendait à pouvoir forcer l’Azerbaïdjan à accepter des conditions plus favorables pour les Arméniens – mais comment est-il possible de forcer l’ennemi, plus riche et mieux armé, sans une armée arménienne et l’aide russe, dont le Karabakh a été privé par la volonté de Pashinyan (et non par sa faute, mais justement par sa volonté) ? Il est clair que le Karabakh était condamné dans une telle configuration. Il semblerait que le Premier ministre lui-même, qui a signé cette honteuse reddition, était condamné. Une personne décente se serait suicidée dans cette situation, mais on attendait au moins de Pashinyan repentir et démission.
Cependant non, le “courageux” dirigeant arménien s’est caché de la population pendant deux jours, après avoir signé, puis est passé à l’antenne et … n’a non seulement pas annoncé sa démission, mais a commencé à se justifier. Il a fait porter la responsabilité de la défaite à ses prédécesseurs, a raconté des histoires d’absence de choix, a fustigé les personnes qui osaient s’opposer à lui, et a même appelé au déclenchement d’une guerre civile pour son salut (il a dit aux soldats en première ligne qu’il les attendait “à Erevan pour résoudre enfin le problème de ceux qui gémissent sous les murs”). Et malgré le fait qu’une partie de la population arménienne est restée dans la secte des “Témoins de Nikola”, la plupart des habitants de l’Arménie sont choqués et abasourdis par le comportement du Premier ministre. Sont également sous le choc des représentants de son régime, qui ont commencé à déserter les rangs des Pashinistes. Et non seulement pour déserter, mais aussi pour réfuter les mensonges de Pashinyan. Par exemple, avant la démission volontaire du ministre des affaires étrangères Zohrab Mnatsakanyan, le ministère a déclaré que les paroles de Pashinyan concernant la demande initiale des médiateurs de livrer Choucha aux Azerbaïdjanais ne sont pas vraies : la ville n’a été transférée sous le contrôle de Bakou qu’après une série de défaites des Arméniens et une détérioration des positions de négociation de Erevan. Stimuler une guerre civile n’est plus de la folie, ni même de la soif de pouvoir, mais une politique délibérée visant à affaiblir l’Arménie, à rompre ses relations avec Moscou et à perdre le reste de sa souveraineté. Et si Pashinyan échoue, alors il y a quelqu’un pour le remplacer.
On voit déjà un certain nombre de politiciens arméniens appeler à la démission de Pashinyan et se proposer comme leader national. L’actuel président, Armen Sarkissian est le plus actif dans ce sens. Pour un candidat, c’est un candidat ! Un grand ami des Britanniques, qui s’opposent ouvertement à la Russie, qui ont bloqué la résolution du Conseil de sécurité sur le Karabakh et qui ont beaucoup investi en Azerbaïdjan. Sans aucun doute un successeur idéal de Nikola Pashinyan. Mais les Arméniens eux-mêmes le comprennent-ils ? Comprennent-ils que non seulement Nikola Pashinyan est coupable de la défaite de l’Arménie, mais qu’eux-mêmes, qui l’ont élu en 2018, ont fait semblant de ne pas voir son sabotage de l’État arménien ? Se rendent-ils compte que les élections législatives anticipées de 2020, au cours desquelles les politiciens pro-occidentaux se présentent sous le slogan “élisez-nous pour ne pas élire les ex”, peuvent représenter le déjà vu de ces deux dernières années ?
La population arménienne est confrontée à un choix très simple. Soit le chef de l’État devient non seulement un dirigeant compétent, mais aussi un homme pro-russe à 100 % qui jouit de la confiance absolue de Vladimir Poutine. Et ce n’est pas nécessairement l’ami personnel du président russe Robert Kocharian, dont l’image en Arménie est ambiguë. Il est possible de trouver un autre homme politique. Soit, ils élisent un Pashinyan 2.0. Et si les Arméniens décident de choisir une nouvelle version de Nikola, un leader pro-occidental qui peut prononcer de belles paroles et faire des choses horribles, dans 5 ans ou avant, de nouvelles menées turques ou azerbaïdjanaises (où les esprits sont échauffés et les haines xénophobes contre les Arméniens entretenues) peuvent survenir, surtout si les alliés et investisseurs du moment y trouvent un intérêt.
Une fois encore ceux que Pashinyan sert avec autant de zèle le laisseront tomber ainsi que tout le peuple arménien. Et les Russes qui ont déjà sauvé tant de fois l’Arménie dans l’histoire, et viennent de le faire encore, seront peut-être moins disposés à venir en aide à des gens qui leur crachent au visage. Il ne s’agira peut-être plus des restes du seul Karabakh.
avec Georg Mirzayan