Lent suicide de l’Occident par son refus de l’histoire
Le thème principal de l’intervention est : la Russie face au noyau civilisationnel entropique euro-américain.Vous l’avez compris, nous sommes dans le « monde complotiste », qui plus est russe !; à savoir le monde qui veut encore penser face au monde des « lobotowokés zombis » qui ne peuvent plus ou ne savent plus penser, perdus notamment dans le brouillard des nouveaux genres. Cette intervention occupe la plage Youtube à travers Yandex [42.06 – 55.28] de la vidéo. Le matériel est censuré dans notre Occident démocratique. (https://yandex.ru/video/preview/11317241745986516041)
Sergueï Kourguinian (SK), est le responsable du projet « Le sens du temps » (https://eot.su/). Outre sa profonde érudition en histoire, politique, géopolitique, philosophie, religions … il est également metteur en scène de théâtre et directeur d’un centre artistique expérimental à Moscou.Sergueï est, pour moi comme pour vous, une personne qui réfléchit de par elle-même, qui pense et qui crée et partage ses réflexions sur différents sujets intéressant la société dans son ensemble.Dans la vidéo Youtube/Yandex, l’intervention de Sergueï Kourguinian suit la retransmission du dorénavant fameux discours prononcé par Vladimir Poutine au Forum de Valdaï le 27 octobre 2022 « Nous nous trouvons sans doute face à la décennie la plus dangereuse, la plus grave, la plus imprévisible qu’ait connue la planète depuis 1945 ».
Bertrand Hédouin, responsable du projet Acte Eurasia
Rappel pour parfaitement comprendre ce que l’on nous impose de vivre aujourd’hui : Olga Tchetverikova, Le Vatican, totem moralisateur du Nouvel Ordre Mondial, 2 volumes, 2022. https://www.thebookedition.com/fr/le-vatican-totem-moralisateur-vol1-p-393031.html (volume 1)
Serge Kourguinian lors de l’émission « Soirée » le 27 octobre 2022
VS : Cher Sergueï ! Comment va se présenter le monde avec la fin de l’hégémonie occidentale ? Comment faire pour que la Russie reste ce qu’elle est ? Que faire pour qu’il en ressorte victorieux un monde pluriel ? Pour que soit mis un terme à l’hégémonie occidentale qui a mené la planète à une crise totale ? Comme (Vladimir Poutine) l’a dit, nous nous trouvons dans une situation révolutionnaire, à un moment où les nations du monde ne peuvent plus vivre comme elles vivaient jusque-là.
SK : Nous avons connu il y a un certain temps une crise autour de la république enclavée de Transnistrie[1]. À ce moment, le vice-Président Routskoï avait dit : « On va leur fermer l’accès au pétrole et au gaz et tout ira bien »[2]. J’avais alors indiqué que ce n’était pas une façon d’agir habituelle. Ils ont coupé les approvisionnements. Certains sont pour une solution, d’autres pour une autre. Les choses se dérouleront tel que le veut le plus fort. Peut-être ils vont ouvrir les tuyaux, peut-être ils vont les fermer. Ils ont fini par les ouvrir.
Tout cela pour dire que l’avenir du monde se décide par la lutte entre différentes forces, le niveau de non-compromissions de ces forces et les intérêts de ces forces. C’est ce qui détermine l’avenir de la planète et non pas le fait que nous voulions cet avenir positif. Comme dans les paroles de la chanson « Le comte marche. Il veut être heureux. Et il ne veut pas que ce soit contraire »[3]. Je comprends parfaitement que l’on préfère être heureux.
Simplement, je ne comprends pas comment l’hégémonie occidentale peut prendre fin et l’Occident continuer à exister. L’Occident peut-il exister sans être hégémonique ? S’il ne veut plus exister ainsi, il pourrait alors mettre fin au monde tel qu’il est à aujourd’hui ? N’allons-nous pas alors assister à une reconstruction du monde après une catastrophe ? En effet, l’humanité ne va pas s’arrêter de vivre du jour au lendemain.
Ainsi, l’Occident refuse de mettre fin à son hégémonie, ce qui entraîne de graves conséquences. Les choses vont devoir se réorganiser, mais cela va se dérouler dorénavant sur les ruines de feu la civilisation.
Maintenant, est-ce que l’Occident est prêt à anéantir la civilisation pour maintenir son hégémonie ? Il me semble qu’il soit prêt à beaucoup de choses dans ce sens.
Que se passe-t-il donc avec cette hégémonie et tout ce qui l’accompagne ?
Premièrement, depuis que Roosevelt a poussé Churchill (par des méthodes presque violentes pour rester gentil) à reconnaître l’indépendance de l’Inde, il était parfaitement clair que l’on acceptait que de grandes masses de la population, des milliards de gens, puissent vivre selon les règles de leur indépendance conditionnelle, d’une certaine indépendance (on met pour le moment de côté le néo-colonialisme).
Ils ont commencé à se développer. Ils ne pouvaient pas ne pas se développer. La Chine ne pouvait pas ne pas se développer, l’Inde ne pouvait pas ne pas se développer.
C’est en se développant qu’ils se sont servi des armes occidentales. En témoigne le dernier Congrès du Parti Communiste chinois. De quoi je veux parler ? De ce que l’énorme déception des élites chinoises a provoqué ce dont je parle ci-après.
(Pour la Chine – NDT) Nous opérons en respectant les règles, nous produisons plus, nous avons des relations amicales… Mais donnez-nous alors la place qui nous revient maintenant. À savoir qu’on a gagné, oui, gagné. Donnez-nous alors la place qui nous revient. Donnez de même à l’Inde la place qui lui revient et de même aux autres qui sont également vainqueurs.
Se pose alors la question de savoir qui s’apprête à reconnaître la nouvelle position de certains pays.
Autrement dit, si la Chine et l’Inde ressortent définitivement victorieux, nous pouvons imaginer les formes que cela va prendre dans quelques dizaines d’années : tous les chinois posséderont une villa, auront deux voitures, l’électricité, les combustibles pour produire cette électricité, etc. Est-ce que quelqu’un se représente un monde où des milliards de personnes vont devenir des consommateurs en masse tels qu’étaient les Américains quand leur civilisation était au sommet.
Pensez-vous que les Américains vont laisser faire ou pas ?
Il était parfaitement clair que personne ne leur accorderait cette place. Les anciens tuteurs leur rappelleront avec bruits et fracas. Le gâteau ne suffira pas à rassasier tout le monde. En fait, il était absolument évident qu’on ne leur donnerait pas le moyen de devenir des leaders.
La question s’est alors posée de savoir comment restreindre cet accès au leadership, non seulement à la Chine et à l’Inde, mais également à d’autres pays comme la Corée, le Vietnam, etc. Tout le monde savait qu’ils allaient se développer, qu’ils allaient rattraper les Etats-Unis et même les dépasser en utilisant le modèle américain même et connaître ce que l’Occident appelle un « véritable développement durable ».
Quand Kipling écrivait « Assumez le fardeau de l’homme blanc »[4] (« Take up the White Man’s burden ») ou encore « Accepter la règle avec patience » (« In patience to abide »), en fait, il voulait dire : « Laissez leur tout ce qui vous appartient ». Il ne disait pas : « Allez-y, piétinez-les, piétinez-les autant que vous le souhaitez ». Je ne peux pas dire si l’empire britannique s’inspirait de la maxime de Kipling, mais c’est ainsi que l’Occident appréhendait le monde. Il s’agissait de l’occidentalisation, de rattraper l’Occident dans son développement, de rattraper la modernisation.
À l’origine de cela, on retrouvait les principes occidentaux qui sont nés après la Grande Révolution française et dont l’essence provenait du concept de la « modernité », de « la nation en tant que sujet de la modernisation », encore une fois concept né à la suite d’affrontements interconfessionnels entre les religions catholique et protestante.
Mais alors on ne pouvait plus dire que le français était catholique parce qu’il y avait dorénavant des Huguenots. On a commencé à se demander ce que signifiait être français, comment créer une nouvelle communauté, comment ne pas être en contradiction avec elle, etc.
La Grande Révolution bourgeoise française et tout ce qui a suivi a plus ou moins répondu à tout cela au fil du temps dans la pratique. Les réponses aux questions déterminaient, en fait, les conditions du développement bourgeois (dans l’eau glacée du calcul égoïste). Dans le Manifeste du parti communiste[5], il était mentionné qu’ils allaient enterrer toutes les valeurs dont parlait récemment le patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies lors d’un de ses messages solennels.
C’est ce même concept de modernité dans ses principales composantes qui a déterminé de nouveau ce qu’était une nation, à savoir, une langue, une culture et, comme le disent les Français, la vénération de la France comme on porterait dévotion à une pierre sacrée.
Il est ressorti de tout cela une conception relativement convaincante, un humanisme laïque relativement satisfaisant. Tout cela a commencé à se fissurer à peu près 50 ans après avoir été créé.
Pierre Paul Rubens, La lutte, 17ème siècle
En définitive, nous avons vécu trois âges, trois époques.
Nous avons d’abord vécu la longue époque de Dieu, de l’orientation vers Dieu. Une partie significative de l’humanité poursuit cette orientation.
Nous avons vécu ensuite les Condorcet et autres, période très courte, celle de l’espoir dans l’intelligence. À ce propos, c’est Emmanuel Kant et pas un autre qui clôt cette époque après ses analyses de la dichotomie et ses thèses sur les choses non prouvables. Après Kant, il y aura encore Gödel[1]. Puis on finira par montrer que l’intelligence n’est pas toute puissante.
La troisième période, celle, disons, de Hegel et de Marx, est celle de la foi en l’histoire.
La quatrième période de l’histoire que l’Occident impose aujourd’hui après les trois premières tout au long desquelles il a toujours été le meneur, est la fin ou plutôt le refus de l’histoire.
Ce problème a des origines profondes. Que signifie ce refus ou cette fin ?
Un peu après la disparition de l’Union Soviétique, on a soudain commencé à voir apparaître des articles idiots portant sur la fin de l’histoire. Ensuite, nous avons vu quelque chose de beaucoup plus ambitieux et de très concret.
Dans un discours qu’elle prononce à l’université du Caire, Condoleezza Rice, à ce moment Secrétaire d’État de Bush Jr, dit alors : « Tous nos anciens alliés sont dorénavant nos ennemis et tous ceux qui étaient contre nous … »[2]. En fait, tout est chamboulé, tout est mis sens dessus dessous, à l’envers.
Pourquoi ? Parce que notre ennemi a dit il y a de cela à peu près 20 ans qu’il mettait fin à la possibilité pour les autres de rattraper la modernité et à tous les outils qui le permettaient.
Ainsi, il a été décidé que des amis comme Moubarak devenaient des ennemis. Pourquoi ? Parce que la modernisation à moitié autoritaire devenait le nouvel ennemi dans le monde. L’autoritarisme est depuis le nouvel ennemi clamé.
On a mis longtemps avant d’en arriver là. On ne remarquait tout simplement pas que nous nous dirigions vers cela. Il me semble que, encore aujourd’hui, certains ne l’ont toujours pas compris. Nous en sommes arrivés à cette situation, à ce changement de points de repère, très progressivement.
Si le rattrapage de la modernité est autoritaire, alors le rattrapage non-autoritaire est considéré comme l’ennemi principal. On avait compris que si l’Inde, la Chine et d’autres pays pouvaient se moderniser, ils rattraperaient en fait le niveau de développement des États-Unis et deviendraient tôt ou tard, peu importe selon quel scénario, les nouveaux leaders.
Si les règles du jeu du modernisme sont respectées, alors l’inégalité des développements va atteindre un niveau jamais atteint jusque-là et jouera en faveur des nouveaux pays modernes qui viendront remplacer les « anciens modernes ».
Qu’est-ce qui se présente à nous aujourd’hui ? En fait, c’est ce qu’avait décrit Hilferding[3] à propos de l’impérialisme comme dernier stade du capitalisme. On appelle maintenant cela l’ultra-mono-impérialisme. Il existe encore de nombreux autres termes pour désigner le stade actuel atteint par le capitalisme.
Par conséquent, la question est de savoir si les nouveaux pays vont remplacer les anciens pays conformément à l’histoire qui avance, ou si ces anciens pays vont interdire d’une manière ou d’une autre aux nouveaux pays d’occuper cette place de leaders ou, comme on disait en Allemagne pendant la Première Guerre mondial, la place au soleil.
Est-ce que ces pays qui se trouvent encore aujourd’hui à la tête du développement mondial vont encourager le développement d’autres pays et vont en reconnaître les résultats ?
L’Occident a donné sa réponse : c’est « niet ».
Par cette réponse, il s’est totalement transformé, est devenu une entité totalement autre. Ce changement radical est énorme.
Il s’est mis à faire disparaître tous ceux qu’il pouvait appeler auparavant « mes petits fils de p.te », cela pouvait être un petit dictateur, ou un leader autoritaire qui avait décidé de développer quelque chose dans son propre pays.
C’est ce qui est déjà arrivé à l’Iran. En quoi le Shah ne leur plaisait pas ? Le Shah disait vouloir développer et moderniser son pays, voulait développer l’industrie métallurgique et d’autres secteurs. Le shah n’a pas plu.
Qu’est-ce qui a ensuite été avancé par le même Occident comme alternative ? Et qu’est-ce que nous avons aujourd’hui ? Nous avons aujourd’hui le fait que la Russie s’unit à une nation iranienne culturellement très ancienne. De nouveau, l’Iran se développe. Il faut de nouveau le stopper.
Ainsi, le défi majeur aujourd’hui est d’empêcher aux pays tiers toute possibilité de se développer (l’Occident pourrait se concentrer sur son propre développement plutôt que d’empêcher le développement des autres – NDT), ce dont il ne se cache absolument pas. Lorsque Clinton a déclaré par une phrase répugnante vouloir bombarder la République serbe et la ramener au Moyen-Âge, il était, en fait, parfaitement clair qu’il n’allait pas s’arrêter à la Serbie pour ce faire.
Une nouvelle configuration du monde est à l’ordre du jour. La périphérie du monde doit être archaïque, le développement doit lui être interdit forever, pour toujours. Tout embryon de développement doit être détruit. À ce propos, cela concerne également l’Europe.
À propos de l’Europe, la plus mal-aimée des mal-aimées. Un noyau s’est formé. Il a pour tâche principale de faire en sorte que le reste de la planète ne puisse se développer. Ce noyau commence à agir : opérations humanitaires et tout le tralala. C’est parti !
George Turek, Le bureau du gouvernement, 1956
Ce nouveau monde suppose l’existence d’un homme autre. Cet autre homme va être l’homme post-humain. Dans son dernier discours, le patriarche nous a rappelé le « transhumanisme ». Cela ne concernait qu’une partie du post-humanisme. Ce nouvel homme devient post-homme, post-humain. L’Occident qui affirmait l’humanisme laïque comme paradigme de développement y a, en fait, mis un terme.
On connaît ensuite toutes les perversités que cela a déjà pu entraîner. Nous voyons aujourd’hui se former une Nouvelle Atlantide. La Russie examine de très près cette Nouvelle Atlantide qui interdit au reste du monde de se développer.
Dans cette Nouvelle Atlantide, aucune place n’est laissée à la Russie. La Nouvelle Atlantide et la Russie ne peuvent coexister. De ce fait se pose la question de savoir comment construire la Russie de telle sorte qu’elle puisse au moins retenir l’avancée de cette Atlantide.
Il est parfaitement évident que cette mission est d’une échelle immense et n’a plus rien à voir avec la mission précédente qui était de rentrer dans cette Atlantide. Il s’agit d’un tournant révolutionnaire radical dont nous devons prendre conscience. Cette mission doit être effective.
[1] : Kurt Gödel (1906-1978) : Logicien et mathématicien autrichien naturalisé américain.
[2] Cf. [https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2005/06/21/moyen-orient-mme-rice-critique-vertement-les-regimes-en-place_664391_3218.html]
[3] : Alexandre Fiodorovitch Hilferding (1831-1872) : Diplomate de l’Empire russe, slaviste et slavophile.
[1] : Transnistrie : Etat autonome auto-proclamé sous l’égide de la Russie créé lors de la disparition de l’URSS en 1991. Elle est située entre la Moldavie et l’Ukraine. Sa capitale est Tiraspol.
[2] : Alexandre Routskoï est un ancien général de l’armée soviétique et ancien homme d’Etat russe. Il a été vice-Président de Boris Eltsine de 1991 à la crise constitutionnelle de 1993. Il occupe alors le camp des « cadres conservateurs de type soviétique ». Il est ensuite Gouverneur de la région de Koursk de 1996 à 2000.
Sergueï Kourguinian fait ici référence à la position de Routskoï face aux événements de 1992 autour de la République de Transnistrie. Écoutons-le en russe :
Cf. [https://yandex.ru/video/preview/6039509396268048645] (journal télévisé russe, 1992)
« Personne n’a le droit de tuer quiconque, d’autant plus pour des motifs politiques. J’ai toujours observé le règlement et ceux qui s’attribuent des droits illégitimes méritent sans équivoque d’être éliminés. Oui, j’ai agi eu égard à la situation en utilisant la force. Après deux jours de combats, la ville de Bendery (Transnistrie) a retrouvé son calme. Le conflit était gelé. »
[3] « Levez-vous, mon comte », chanson composée par Yuri Vizbor (1934-1984). Célèbre auteur soviétique de chansons. Poète, acteur de cinéma, écrivain, journaliste, scénariste de cinéma, documentaliste, dramaturge, peintre. A créé le genre des « chansons-reportages ».
[4] : Rudyard Kipling. Ecrivain britannique (1865-1936). Publie en 1899 « Le Fardeau de l’Homme Blanc » (« The White Man’s Burden .
[5] Manifeste du Parti Communiste. De Marx et Engel. Publié en 1848.