Quand Atlantico fait le jeu des russophobes

  • stoprussophobie redaction
  • lundi décembre 4, 2017
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Quand Atlantico fait le jeu des russophobes

La précipitation journalistique utilisée par la russophobie

Le site Atlantico, pourtant généralement assez équilibré, a publié un article de Benoit Rayski, lui aussi généralement attentif, qu’il a un peu précipitamment intitulé «la sainte Russie est de retour, revoilà l’accusation de meurtre rituel».

Sa précipitation, sans doute due à «une bonne histoire» reprise d’une publication juive, appuyée elle-même sur une déclaration de précaution du rabbinat de Russie, l’amène à formuler des accusations d’antisémitisme contre la Russie qui sont en l’espèce infondées mais ont été immédiatement diffusées par la «russophobosphère» qui n’est pas préoccupée par les éventuelles inexactitudes.

L’histoire est effectivement intéressante et vaut la peine de s’y attarder.

Voici le lien avec l’article d’Atlantico

https://fr.news.yahoo.com/sainte-russie-retour-revoil%C3%A0-laccusation-meurtre-rituel-094819018.html

   L’église orthodoxe russe, venait de tenir fin novembre une assemblée des évêques et cardinaux (on dit métropolites là-bas). Ce congrès a entendu notamment un rapport de la dame citée par Rayski, Marina Molodtsova. C’est loin d’être un Hitler en jupon, comme semble vouloir dire l’auteur et ses épigones, mais une fonctionnaire suffisamment fiable pour être responsable au sein d’un comité d’enquête «sur les affaires sensibles», notamment de corruption, rétabli depuis 2007. Il avait été créé sous Pierre le Grand mais dans les années 1990 un tel comité n’était pas jugé utile.

A l’occasion du centenaire de la révolution russe et avant le centenaire de l’assassinat du tsar Nicolas II, qui avait déjà abdiqué, et de sa famille, à Ekaterinbourg en juillet 1918, les autorités russes ont décidé de reprendre l’enquête sur la mort de la famille impériale.

En présentant son enquête, Mme Molodtsova a évoqué la possibilité d’une dimension «rituelle» pour ce meurtre. Comme l’ont expliqué par la suite, aussi bien la dame en question que le métropolite, chargé de l’affaire au sein de l’église orthodoxe, il s’agissait pour eux du rituel communiste. Car le Tsar n’étant plus tsar, on ne voit pas trop pour quelle raison le tuer lui et ses enfants et ses accompagnants aussi brutalement, sauvagement et sans procès. C’est bien évidemment pour des raisons symboliques.

On peut ajouter aussi que c’est pour des raisons stratégiques car les armées blanches approchaient d’Ekaterinbourg. Elles y sont d’ailleurs parvenues quelques jours plus tard. Quand a été menée une première enquête par le juge Sokoloff. Qui n’a pas pu découvrir les dépouilles impériales, enterrées au milieu d’une route !

Ces dernières, après avoir été précipitées avec acide et chaux dans un puits de mine, à l’est de la ville, ont été déplacées la nuit suivante, au moment où les forces blanches arrivaient. Et là petit détail qui explique certains aspects de l’affaire d’aujourd’hui : l’église orthodoxe russe ne reconnaît toujours pas le véritable lieu de la sépulture et ne considère que les puits de mine (l’âme s’est envolée de cet endroit, selon certains prêtres…) et de plus n’a pas reconnu l’authenticité des dépouilles. Or l’église a béatifié l’ex-tsar et sa famille martyre et les restes découverts, officiellement au début des années 90 (ils l’avaient été avant mais pour éviter leur destruction les découvreurs se sont tus), ont été attestés par toutes les recherches ADN contemporaines. Et les cendres ont été déposées dans la forteresse Pierre et Paul, où reposent tous les empereurs russes depuis Pierre le Grand.

Cette enquête est peut-être une façon pour l’église de «rattraper le coup», sans perdre la face. Ce qui expliquerait qu’elle est la seule à attacher de l’importance à cette enquête officielle et qu’elle n’y a pas associé d’autres religions présentes en Russie.

Or c’est précisément ce qui a inquiété le rabbinat russe. Chat échaudé craignant l’eau froide, le terme de crime rituel lui a rappelé une affaire Dreyfus à la russe qui a divisé la Russie pendant deux ans entre 1911 et 1913. L’accusé s’appelait Menahem Mendel Beilis, un contremaître juif travaillant à Kiev qui a été accusé, complètement à tort, d’avoir assassiné un adolescent et qui plus est de l’avoir tué pour un crime rituel. Voilà le mot lâché. Evidemment cette accusation de crime rituel était absurde et odieuse. Mais elle a traumatisé une partie de la communauté juive russe.

Rayski en parle dans son article. A deux détails près : ce n’est pas parce que durant l’affaire Dreyfus en France il y avait des dreyfusards et des anti-dreyfusards que l’on accuse la France d’antisémitisme. Pour la Russie, en revanche, on ne prend pas de gants : pourtant il y avait la même division qu’en France au niveau de l’intelligentsia et des «élites», comme on aime à dire aujourd’hui.

 De plus, M. Raysky pourrait s’interroger sur la raison pour laquelle Beilis a été innocenté et autorisé à partir aux Etats-Unis, où il est mort dans les années 30. L’explication selon laquelle Nicolas II aurait eu «honte» est un peu courte et pour tout dire ridicule. En fait, c’est Nicolas II, contre l’avis de plusieurs de ses ministres, notamment le ministre de la justice, qui a ordonné à la police criminelle de revoir complètement l’enquête faite par la police politique (Okhrana et gendarmerie). Et le Tsar a écouté sa police criminelle et fait suggérer aux jurés de reconnaître l’innocence de Beilis. Les jurés ont tout de même évité de mécontenter les tenants influents de la culpabilité et ont reconnu un caractère rituel au crime ! Sans coupable, sans véritable raison. Bref, en voulant satisfaire tout le monde, personne n’a été satisfait ! L’affaire a sans doute eu une influence pour l’attitude de l’intelligentsia en 1917. Et la méfiance du rabbinat aujourd’hui date de cela.

Ce dernier a donc interrogé l’église et le pouvoir sur les raisons pour lesquelles il n’était pas associé à l’enquête. Une façon de dire son inquiétude sans accuser. Des réponses ont été apportées par le clergé orthodoxe et les autorités. Et tout antisémitisme a été écarté. D’autant que parmi les tueurs de la famille impériale, il n’y avait qu’un seul juif.

A noter tout de même que nos russophobes si vigilants sur d’éventuelles manifestations d’antisémitisme en Russie, sont étrangement complaisants avec les héritiers du nazisme en Ukraine qui sont au pouvoir. Les pires pogroms de l’histoire de l’empire russe ont eu lieu en Bessarabie et en Ukraine occidentale… Et c’est à Kiev qu’a commencé l’affaire Beilis et à Moscou qu’elle a été arrêtée.