Ukraine : une genèse
La haine puissance x
par un Français de Moscou
Il est bien dommage qu’en Occident en général, et en France en particulier, on ait, dès le départ, choisi d’être sourd aux arguments des gens du Donbass.
Et pourtant, en février 2014, un certain Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, s’était, tout comme ses collègues allemand et polonais de l’époque, porté garant (par procuration) auprès du président ukrainien Yanoukovitch des accords signés avec l’opposition. Malheureusement, 48 heures ne s’étaient pas écoulées que le président élu était renversé par un coup d’état organisé par une opposition nationaliste et extrêmement radicale. Sans que les garants protestent.
L’année suivante, en 2015, des actions militaires se sont engagées dans ce fameux Donbass, où se situent les régions de Donetsk et Lougansk, et avaient atteint un tel degré de violence que l’initiative a été prise de réunir à Minsk, en Biélorussie, deux chefs d’Etat et de gouvernement européens, François Hollande et Angela Merkel, qui se sont portés garants, avec Vladimir Poutine et le président ukrainien Porochenko, des fameux accords de Minsk, dont étaient signataires également les dirigeants des régions de Donetsk et Lougansk.
Jamais ces accords de Minsk, que l’Ukraine, aussitôt signés, a rejetés n’ont été appliqués. L’eussent-ils enfin été, les combats auraient cessé entre Kiev, d’une part, Donetsk et Lougansk d’autre part. Une solution politique prévue par ces accords aurait trouvé place, et ces régions de Donetsk et Lougansk seraient restées dans l’Ukraine, avec un statut spécial leur donnant le droit, comme elles le réclamaient légitimement, de parler leur langue depuis des temps immémoriaux, le russe, aux côtés de l’ukrainien, toutes deux reconnues langues d’Etat. Et ce conflit, qui a duré 8 ans, n’aurait pas causé 13.000 morts. Beaucoup plus que le nombre de “concitoyens” tués par Kadhafi en Libye, déclaré criminel et assassiné et son pays démantelé par une intervention occidentale illégale.
N’allons pas nous faire croire que deux puissances occidentales comme l’Allemagne et la France n’étaient à court d’arguments pour convaincre l’Ukraine de mettre un terme à cette violence.
Il est infiniment regrettable qu’en notre siècle de l’information en veux-tu en voilà, on en soit arrivé à un tel degré de désinformation, notamment à propos de la crise du Donbass. Il est parfaitement normal d’être contre la guerre. Recourir aux armes, cela signifie que la diplomatie a échoué. Que les arguments des uns et des autres n’ont pas été entendus, ou que l’on n’a pas voulu les entendre. Mais c’est précisément parce que l’information circule souvent trop à sens unique en Occident – n’oublions pas que les chaînes et les médias russes sont censurés depuis longtemps en Europe et aux USA – que la déraison l’emporte sur la raison.
Le déchaînement de haine contre la Russie que l’on observe ces derniers jours dépasse l’entendement. Même au plus fort de la guerre froide, personne n’avait osé traiter avec autant de fiel l’Union Soviétique. Ce ne sont pourtant pas les termes sévères qui ont manqué pour lui reprocher les interventions en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968 et en Afghanistan en 1979.
Mais là, on atteint des sommets.
Aurait-on pu imaginer qu’un président des Etats-Unis déclare, à peine élu, que le plus haut responsable de l’Union Soviétique est un bandit, comme l’a fait Joe Biden à propos de Vladimir Poutine? A-t-on entendu, pendant la guerre froide, un premier ministre britannique clamer, comme l’a fait Boris Johnson, qu’il ne s’arrêterait pas avant d’avoir complètement détruit l’économie russe? Et que dire des propos hallucinants, faisant chorus, qu’un de nos ministres de cette République française dont la devise est Liberté, Egalité, Fraternité, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, invité de France Info, tient à la radio, le 1er mars 2022: “Les sanctions sont d’une efficacité redoutable. Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie. Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe. Le rapport de force économique et financier est totalement en faveur de l’Union européenne, qui est en train de découvrir sa puissance économique”.
Et, parfaitement orchestrées par la Maison Blanche, Bruxelles emboitant le pas, des sanctions, ou plutôt des mesures inimaginables de rétorsion infligées à la Russie. C’est bien évidemment le peuple russe, qui risque de trinquer. Blocage du système SWIFT, blocage des avoirs bancaires, y compris de la Banque centrale de Russie, interdiction des espaces aériens aux avions russes, saisie des biens – sur quelle base légale, sinon le fait d’être “proches de Poutine”, bel argument juridique, en vérité – de Russes dans différents pays européens, notamment en France et aux USA.
On voit le Comité olympique international et différentes fédérations sportives internationales interdire de compétitions athlètes et équipes russes. Pire même, le Comité international paralympique interdit la présence aux jeux de Pékin d’athlètes handicapés!! Des artistes russes de renommée mondiale – chanteurs d’opéra, chefs d’orchestre, pianistes et autres – voient leurs contrats rompus pour des tournées prévues de longue date. Cela va jusqu’à chasser les étudiants russes des universités européennes et américaines. A harceler et chasser des élèves russes des écoles. Les voitures des diplomates russes taguées aux couleurs de l’Ukraine, et bien d’autres faits de violence contre les Russes. Jusqu’aux classiques de la littérature russe retirés des rayons des librairies en France et dans d’autres pays. Il y a aussi – ce serait presque risible si ce n’était pas une preuve de plus de déraison, pour ne pas dire de folie collective – que l’interdiction faite aux chiens et chats russes de participer à des salons internationaux.
Toutes les conventions internationales considèrent comme un crime l’incitation au racisme, à l’antisémitisme et à la haine entre les peuples. Mais que font aujourd’hui l’Europe, les Etats-Unis, tous ces politiciens, ces journalistes, ces intellectuels bien pensants, hérauts des “valeurs occidentales”, de la “démocratie”, sinon inciter à la haine des Russes?
Jamais, dans l’histoire de l’après-guerre, personne n’a eu le cran d’infliger des sanctions équivalentes aux États-Unis d’Amérique, ou à l’OTAN, qui sont pourtant les principaux fauteurs de guerre un peu partout sur la planète.
La preuve ? Qui a osé larguer deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki ? Qui a osé engager une guerre inhumaine contre le Vietnam, le bombardant sans interruption pendant près de 10 ans, notamment en épandant le fameux « agent orange », causant ainsi des dommages irréparables à la nature et aux êtres humains dans ce pays ?
A-t-on convoqué un tribunal international pour juger ces crimes contre l’humanité commis par les USA au nom des prétendues valeurs occidentales, au nom de la démocratie à l’américaine, et surtout au nom de la trop fameuse sécurité nationale des États-Unis ?
Et que dire du rôle vraiment « démocratique » que les USA ont joué, en tant que patron de l’OTAN, en organisant le bombardement massif de Belgrade, la guerre en Irak, sous le fallacieux prétexte de la présence dans ce pays d’armes de destruction massive. Souvenez-vous de ce secrétaire d’État américain de l’époque, Colin Powell, brandissant au Conseil de sécurité des Nations unies, une fiole qui devait apporter la preuve de ce qu’était cette fameuse arme redoutable. Une « erreur », ont reconnu les Américains dix ans plus tard. Sans blagues !
Ajoutons à cela la Syrie, la Libye, des opérations où la France s’est engagée elle aussi, et tant d’autres crimes restés impunis, ayant causé des pertes humaines incalculables.
A-t-on coupé les États-Unis du système Swift, interdit l’accès de l’espace européen aux avions américains, demandé que les athlètes et plus généralement les sportifs américains soient interdits de se produire partout dans le monde, en particulier aux jeux olympiques ? A-t-on chassé les étudiants américains des universités européennes, ou interdit les grands auteurs américains?
Alors pourquoi faut-il toujours qu’il y ait deux poids et deux mesures ? Surtout lorsqu’il s’agit de la Russie.
Nul ne le contestera, il est bien triste que la Russie ait engagé des opérations militaires en Ukraine. Il a vraiment fallu pousser à bout ce pays, qui a connu 27 millions de morts pendant la Seconde Guerre mondiale, pour qu’il en arrive là. Et pourtant les efforts diplomatiques n’ont pas manqué, engagés par la Russie ces derniers mois pour garantir sa sécurité légitime face à l’expansion de l’OTAN à ses frontières, et pour convaincre l’Europe de rebâtir la sécurité internationale.
L’Europe et les USA sont restés sourds.