Atteinte à la liberté de la presse par russophobie
Par russophobie, la présidence française porte atteinte à la liberté de la presse chez nous
La présidence française a, par deux fois, empêché des journalistes de RT France de faire leur travail. Le 3 janvier, elle a fait refuser l’accès à Kyrill Kotikov à la conférence de presse donnée à l’issue du sommet de Rome sur la question des migrants[1]. Le 15 janvier, le journaliste Kevin Berg, détenteur d’une carte de presse, a été refoulé du point de presse technique au sujet de la visite qu’effectuait Emmanuel Macron à Calais. Malgré sa carte de presse, le journaliste a été refoulé alors qu’il venait de passer les portiques de sécurité du palais présidentiel. “Vous n’êtes pas journaliste, on ne fait entrer que les journalistes !” lui aurait répondu une attachée de presse, alors qu’il indiquait le nom de son média[2]. Dans les deux cas, il s’agit de faits d’une extrême gravité.
Il est sans exemple depuis maintenant des dizaines d’années en France que des journalistes, avec carte de presse et officiellement accrédités, se voient refuser ces accès, et se voient donc dans l’impossibilité de faire leur travail. Cela constitue une atteinte claire à la liberté du travail. Cette pratique nous renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire quant la liberté de presse était bafouée par des pouvoirs tyranniques.
Emmanuel Macron a donné son avis sur RT France, ce qui est son droit. Mais, s’il a des choses à reprocher à ce média, il doit impérativement agir par la voie légale, par exemple en portant plainte. Faute de cela, il ne devrait pas agir. Il est sans précédent, depuis de nombreuses années, qu’une décision de fait se substitue à une décision de droit. On doit se souvenir que le Général de Gaulle, dont les relations avec le journal Le Monde étaient notoirement mauvaises, n’a jamais fait obstacle, lui, aux membres de ce journal lors de ses conférences de presse…
Rappelons, comme l’a indiqué le journal Marianne, qu’il n’est pas du ressort du Président de la République de décider qui est, ou qui n’est pas, journaliste[3]. Il convient, ici, de citer la fin de cet article : « Emmanuel Macron peut donc penser tout le mal qu’il veut de RT, chaîne explicitement lancée et financée par Moscou pour faire progresser en France la vision du monde défendue par le pouvoir russe, il n’en reste pas moins qu’en l’état, ses membres ont été reconnus comme journalistes par la profession. Et si l’Elysée commence à opérer son propre tri sur la base d’options politiques, le risque de dérive n’a pas besoin d’être explicité en termes de liberté de la presse… ».
Nous sommes là devant ce que l’on ne peut que considérer comme un acte de « bon plaisir » de la part de notre Président, acte qui était assurément l’apanage des Rois mais qui a été aboli et ne sied pas à un Président.
Ces actes graves et scandaleux prennent place alors que sur de nombreux médias on voit la tentative d’alimenter ce qu’il faut bien appeler une « russophobie » obsessionnelle et compulsive. Quoi que l’on puisse penser des actes du gouvernement de la Russie, ce dénigrement systématique du pays ne correspond ni à la vérité ni aux intérêts de la France. Par ces actes à l’encontre de RT France, le Président de la République, en quelque sorte, légitime et cautionne cette «russophobie».
Les signataires de ce texte s’élèvent donc contre ces actes. Ils dénoncent le climat de peur et de méfiance que l’on cherche à créer au sujet de la Russie. Ils appellent le Président de la République à cesser ces pratiques qui déshonorent sa fonction et le pays.
Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales
Directeur du CEMI-EHESS