Géopolitique et fake news : comment les gouvernements et médias occidentaux utilisent la désinformation

  • stoprussophobie redaction
  • mercredi janvier 27, 2021
  • 196
Géopolitique et fake news : comment les gouvernements et médias occidentaux utilisent la désinformation

 

 

 

SÉRIE D’ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD, AUTEUR DE « GOUVERNER PAR LES FAKE NEWS »

 

GouvernerparlesFakeNewsJBaud

 

Voici quelques uns des entretiens publiés sur le blog VOIX de notre partenaire Hélène Favre

https://helenerichardfavre.ch/page/2/?s=Entretiens+avec+Jacques+baud 

Voici une présentation de l’oeuvre et de l’auteur:

Jacques Baud est colonel d’état-major général, ancien analyste des services de renseignement stratégique suisses. Engagé auprès des Nations unies dans de nombreux conflits, il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence (Encyclopédie du Renseignement et des services secrets, Lavauzelle, 2002 ; La Guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Rocher, 2003 ; Encyclopédie des terrorismes et des violences politiques, Lavauzelle, 2009).

“Quels sont les faits qui permettent d’affirmer que l’État islamique cherche à créer une guerre civile en France; que le président syrien Bachar al-Assad a utilisé des armes chimiques; que Vladimir Poutine tente de déstabiliser nos démocraties; que le terrorisme a frappé la France, non pas pour ce qu’elle fait, mais pour ce qu’elle est; que le génocide au Darfour a fait 400 000 victimes ?… Littéralement aucun, mais ces affirmations suffisent à asseoir la politique étrangère des pays occidentaux. L’auteur, ex-agent du service de renseignement stratégique suisse, passe ainsi en revue les principaux conflits contemporains, que les pays occidentaux ont géré à coups de fake news, ces trente dernières années.” (ed.)

– Jacques BAUD bonjour et merci d’avoir bien voulu répondre à ma proposition d’interview. C’est après avoir découvert comment le journaliste Sylvain BESSON vous présentait dans un groupe FACEBOOK que l’envie de vous poser quelques questions m’est venue.

Car de personnalité à la notoriété publique reconnue, auteur de nombreux ouvrages de référence, suite à la parution de votre dernier livre « Gouverner par les FAKE NEWS », vous voici soudain présenté par ce journaliste de manière tout autre, comme l’indique la capture d’écran qui illustre ce sujet e

Avant de nous en dire davantage sur ce site auquel se réfère Sylvain BESSON pour mettre en relief sinon bien plutôt en doute vos compétences, je vous serais reconnaissante de vous présenter en quelques mots et de nous parler de votre parcours impressionnant.

Jacques BAUD: -Bonjour, et merci de me donner l’opportunité de m’exprimer « de vive voix ». Je suis originaire de Genève où j’ai fait mes études (en économétrie, à l’Université de Genève), puis divers diplômes postgrade à (anciennement) IUHEI à Genève. Au début des années 80, j’ai été invité à faire partie de nos services de renseignement à Berne (car je suis probablement l’un des seuls membres du service à n’avoir pas eu besoin de postuler !) Je me suis occupé des forces du Pacte de Varsovie, y compris celles qui étaient en Afghanistan ou en Angola. Sans entrer dans les détails, disons que j’ai écrit un manuel à l’intention de la résistance afghane pour neutraliser les mines soviétiques disséminées par hélicoptère.

C’est pourquoi, lorsque la Suisse s’est intéressée à la question des mines anti-personnel au milieu des années 90, les Affaires étrangères ont sollicité mon expérience : j’ai alors proposé la création du centre de déminage humanitaire de Genève et j’ai été envoyé deux ans aux Nations Unies à New York pour le créer, ainsi qu’un système de gestion de l’information sur les mines. Peu après mon retour en Suisse, les Nations Unies m’ont demandé de les aider à créer un système de renseignement multidimensionnel pour les opérations de maintien de la paix. C’est le concept de Joint Mission Analysis Center (JMAC), dont j’ai dirigé la première unité (et probablement la plus grande à ce jour) au Soudan avec la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS). Le JMAC était un service de renseignement civilo-militaire, directement subordonné au représentant spécial du Secrétaire-général des Nations Unies.

En 2005-2006, alors que j’étais sur place, la question du Darfour intéressait presque plus le Conseil de Sécurité que le Sud-Soudan (qui était pourtant la raison d’être de la MINUS). J’étais donc régulièrement au Darfour, en contact étroit avec les organisations humanitaires sur place, ainsi qu’avec les divers mouvements rebelles, avec lesquelles nous avions des réunions régulières. Durant ces deux ans, je constatais que l’information qui circulait en Occident n’avait pratiquement rien à voir avec la situation sur le terrain : les milliers de morts rapportés par nos médias n’avaient aucune réalité, les « janjaweed » que l’on attribuait au gouvernement s’attaquaient… aux forces gouvernementales ! Nous avions une très bonne visibilité sur les événements du Darfour, à telle enseigne que les divers services de renseignements occidentaux au Soudan me contactaient régulièrement pour échanger des informations. J’y ai fait la connaissance de quelques « agents » qui sont devenus aujourd’hui directeurs de leur service chez eux, et avec lesquels nous sommes restés en contact.

Après mon retour en Suisse, j’ai refait un séjour de deux ans aux Nations Unies à New York, comme chef de la doctrine des Opérations de maintien de la paix, où je me suis notamment occupé des questions de la protection des civils et de la coopération civilo-militaire. J’ai alors pu suivre la situation en Libye et ai une fois de plus constaté que la réalité du terrain ne correspondait pas du tout à celle rapportée dans les médias.

Après New York, j’ai été envoyé à Nairobi pour y faire un travail très semblable, mais au profit de l’Union Africaine. Après environ deux ans, en 2013, j’ai eu l’opportunité d’avoir un poste à l’OTAN à Bruxelles, comme chef de la lutte contre la prolifération des armes légères. Il s’agissait d’un poste très particulier, car la Suisse ne fait pas partie de l’OTAN ; mais il existe quelques postes négociés bilatéralement entre l’OTAN et des pays dits « partenaires ». Ainsi, depuis Bruxelles j’ai « assisté » à l’enlisement de la situation en Libye et à la crise ukrainienne. Là encore, j’ai pu constater que l’on ne pouvait ou ne voulait pas comprendre la nature des problèmes et qu’on se réfugiait derrière des idées toutes faites. Dans l’OTAN, la « nouvelle Europe » (comme l’appelait George Bush) reste animée par un profond sentiment de revanche à l’égard de la Russie, et malgré que les militaires de la « vieille Europe » avaient des jugements plus nuancés, cette aversion satisfaisait le grand frère américain et tout le monde s’en accommodait assez bien. Le problème est qu’on ne résolvait pas les problèmes, mais on les accentuait de manière évidente.

-Vous m’avez dit avoir répondu point par point à l’article de Conspiracywatch. Pourriez-vous, dans cette première partie de notre interview, nous faire part de ce à quoi vous avez tenu à réagir afin que, dans les prochaines parties de cet entretien avec vous, nous puissions y revenir de manière plus détaillée?

En fait, ConspiracyWatch (CW) a réagi au livre à travers une interview donnée à M. Taddéi, sur RT (…et non ! contrairement à ce que pourraient dire certains : ils ne paient pas !). Le problème ici est que CW s’est basé sur l’interview, qui est en fait un résumé du livre, et n’a pas attendu de l’avoir lu pour le commenter, ce qui me semble pour le moins curieux pour un site qui cherche à lutter contre la désinformation. Car sans lire le livre, il est facile de suggérer du « complotisme » (que d’ailleurs CW ne semble pas définir avec rigueur) et je n’y vois pas la preuve d’une grande intégrité intellectuelle. S’il avait lu le livre, il aurait constaté que pour la plupart des sujets je constate que l’on « ne sait pas », et qu’il faut accepter qu’en l’état, nous n’avons pas les éléments pour bombarder, renverser des gouvernements, adopter des sanctions, etc.

Le problème des relations internationales aujourd’hui est qu’elles sont déterminées par des approximations. Des accusations sont formulées et des sanctions sont prises par les gouvernements avant même que les enquêtes ne soient terminées.

Ce que CW n’a pas compris est que le propos du livre n’est pas de « blanchir » certains acteurs, ni de déterminer si X ou Y a raison ou tort, voire affirmer des «vérités », mais de montrer que les jugements sur lesquels les gouvernements occidentaux basent des décisions parfois lourdes de conséquences sont très fragiles. Comme je l’ai écrit en introduction de mon ouvrage, si l’on avait lu (ou appliqué, ou accepté, ou tenu compte de) mes analyses tout au long de ma carrière (en Suisse et ailleurs), nous aurions pu épargner environ 475.000 vies humaines. Mais chaque fois, je me suis heurté à des diplomates, des militaires ou des fonctionnaires qui avaient une idée préconçue du problème et qui refusaient de la remettre en question. En fait, le livre est un plaidoyer pour le «doute raisonnable » et contre les suppositions érigées en certitudes.

Nous avons tendance à oublier que transformer des suppositions ou des rumeurs en certitudes est un élément central du… complotisme.

A l’inverse de CW, mon métier comme agent de renseignement a toujours été de m’appuyer sur les faits – qu’ils plaisent ou non – mais aussi de reconnaître lorsqu’on ne sait pas.

Voix

LA GUERRE DE L’INFLUENCE,

SUITE DES ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD

Nous poursuivons nos entretiens avec Jacques BAUD, entretiens au cours desquels ont été évoqués dans leurs aspects techniques, le complotisme, le complot, le conspirationnisme.

-Jacques BAUD, dans le cadre des sujets que nous abordons avec vous, apparaissent souvent les termes de « fake news », de « désinformation », de « propagande, de « mesures actives », d’ « influence », etc. Selon vous, à quoi renvoie leur usage, en pratique?

Jacques BAUD: -Je vous propose de traiter ce sujet de manière méthodique en nous arrêtant sur les différents aspects de la guerre de l’influence. Ceux-ci sont:

-L’influence
-Les mesures actives
-La propagande et la censure
-La désinformation
-La mésinformation
-La fausse bannière

Les actions d’influence (ou de « gestion des perceptions ») visent à modifier la perception des individus en introduisant délibérément des biais cognitifs dans les

esprits. Elles résultent d’une combinaison de tous les outils décrits plus haut et visent à générer des comportements conformes aux attentes (du pouvoir, d’une autorité, etc.)

Dans un conflit, les actions d’influence répondent à deux finalités fondamentales :

– Restaurer et/ou maintenir la confiance des populations civiles envers les autorités (l’Etat).
– Affaiblir la volonté combative de la force adverse, qu’elle soit intérieure ou extérieure.

Pour être efficaces, elles doivent

– Répondre à des objectifs stratégiques qui servent l’ensemble de l’Etat (approche inclusive).
– Faire partie d’une approche intégrée (civile et/ou militaire) pour atteindre un objectif déterminé.
– Etre conçues en fonction d’objectifs spécifiques et adaptées à un public-cible défini.

Durant la guerre froide, deux systèmes politiques s’opposaient. Le système communiste, qui voyait son développement dans le monde dans le cadre d’un processus historique inéluctable, et le système « capitaliste », qui cherchait à préserver son modèle libéral. Pour les deux blocs, l’enjeu de l’influence était alors essentiellement de présenter son système comme le meilleur et d’avoir le plus de partisans possibles dans l’autre camp.

En Europe de l’Est, un système politique « contre nature », nécessitait un contrôle strict de l’information : elle était assurée par des entreprises d’Etat. En Occident, où l’information est réputée « libre », l’idée d’y imposer des restrictions était un tabou. La philosophie dominante était que sur un marché libre, la « mauvaise » information est facilement éliminée par la « bonne » selon un processus quasi-darwinien de « sélection naturelle ». Mais en cas de guerre, ceci ne suffit pas : il faut pouvoir atteindre le cœur du dispositif adverse. C’est pourquoi, en 1942, afin de contrer la propagande nazie, les États-Unis avaient créé une agence d’information d’Etat : Voice of America (VOA), qui diffuse sa propre propagande. Durant la guerre froide, afin d’influencer les opinions dans les pays communistes, VOA est renforcée par Radio Free Europe et Radio Liberty qui jouent à cache-cache avec les installations de brouillages installées à l’Est du rideau de fer.

Aujourd’hui, tous les pays occidentaux ont des médias « officiels » à des fins de propagande, en appui de leur politique étrangère : en France – France 24France 2 ou France 5 ; en Grande-Bretagne – BBC ; en Belgique –RTBF, en Suisse – RTS et Swissinfo ; en Russie – Russia Today/RT. Aux États-Unis, les médias d’Etat sont supervisés par l’Agence pour les Médias Globaux, et comprend Voice of AmericaRadio Free Europe / Radio Liberty(RFE/RL), Office of Cuba Broadcasting (OCB), Radio Free Asia (RFA), Middle East Broadcasting Networks (MEBN),Open Technology Fund (OTF). Ce sont des outils d’influence ; mais il serait faux d’y voir des officines composées d’agents secrets et concoctant des émissions destinées à subvertir les pays adverses. Ainsi, lorsque le sénateur Claude Malhuret prétend que les programmes de RT « ne sont pas faits par des journalistes, mais ils le sont directement par le Directorat D du FSB à Moscou, comme aux plus belles heures de la guerre froide » ; il ment. D’abord, le FSB est un organe de sécurité intérieure, qui n’est ni mandaté, ni organisé pour mener des opérations d’influence à l’extérieur de la Russie ; ensuite, il n’y a pas de Directorat D chargé de la désinformation au FSB…

 

On attribue volontiers le monopole des opérations d’influence à des pays comme la Russie ou la Chine. Mais c’est faux. Tous les pays ont – sous diverses dénominations – une politique d’influence à des fins de politique intérieure et extérieure. On observe notamment que depuis mai 2019, les « gilets jaunes » et leurs revendications ont disparu des traditionnels médias français, tandis que tournent en boucle les émeutes à Hong Kong, en Russie et plus récemment au Belarus. Mais on constate que depuis le début octobre 2020, l’opposition au Belarus a disparu de nos médias… Explication : l’administration Trump a décidé de supprimer son financement de 20 millions USD à ces mouvements d’opposition par le truchement de l’OTF… En fait, les Américains eux-mêmes ont compris que leur tentative de changement de régime n’aboutira pas. Le 13 octobre, Svetlana Tsikhanovskaya lançait un ultimatum au président Loukachenko, et avertit que « le 26 octobre, une grève nationale de toutes les entreprises commencera, toutes les routes seront bloquées, les ventes dans les magasins d’État s’effondreront ». Le 26, Le Temps affirme que la grève a été « massivement » suivie, mais ce n’est pas l’avis d’autres médias, qui constatent que « Tout au plus, certains travailleurs ont brièvement exprimé leur soutien à la manifestation avant ou après leur quart de travail, mais n’ont pas refusé de travailler », et que l’on n’observe ni routes bloquées, ni interruptions de services et les commerces fonctionnent normalement. En fait, on soutient Svetlana Tsikhanovskaya comme on soutient Juan Guaido au Venezuela : en créant l’illusion d’un soutien populaire. Déjà en avril-mai 2019, les appels à la grève générale de Guaido se sont soldés par un échec. Car même si la gouvernance biélorusse est discutable, le gouvernement continue à jouir du soutien d’une large partie de la population qui ne veut pas du modèle néo-libéral proposé par l’Occident. D’ailleurs, dans les manifestations, on voit très peu le drapeau européen (contrairement aux manifestations le « l’Euromaïdan » en Ukraine), et beaucoup le drapeau nationaliste (blanc-rouge-blanc), dont on cherche à minimiser sa ignification d’extrême-droite. Une fois de plus, on peut constater que nos médias critiquent Trump, mais appuient sa politique…

Les médias privés devraient apporter la diversité nécessaire aux démocraties. Mais c’est une illusion d’optique. Leur concentration progressive en un nombre toujours plus restreint de mains, tend à en réduire la diversité. Aux États-Unis, en 2012, 90% des médias sont contrôlés par 6 groupes industriels, alors qu’ils étaient 50 en 1983. Au Royaume Uni, en 2015, 3 compagnies contrôlent 71% de l’ensemble de la presse écrite et 6 contrôlent 80% de la presse locale (soit 942 titres). En France, les principaux médias sont concentrés sur 3-4 grands groupes industriels. Outre les liens avec des partis ou lobbys politiques, ils représentent des intérêts financiers ou industriels, et n’ont pas l’indépendance dont ils se revendiquent.

Le dispositif occidental d’influence est complété par des organes gouvernementaux (par exemple « On te manipule » du gouvernement français) ou des officines soutenues par l’Union Européenne (comme eufactchek.eu, euvsdisinfo.eu ou euractiv) ou de l’OTAN (« The New Hero »), financées directement ou par le truchement de projets ou de subventions. Ces structures n’ont pas vraiment pour but de rétablir une lecture objective des faits, mais bien plus d’asseoir des politiques. C’est particulièrement vrai pour le site euvsdisinfo.eu, qui est une véritable structure de propagande antirusse !

A ceci s’ajoute des problèmes fonctionnels. Les contractions de personnels ont eu pour conséquence un resserrement des sources d’information sur les quatre principales agences de presse (Agence France-Presse – AFP, Associated Press – AP, Reuters et EFE). La concurrence avec les réseaux sociaux et les médias alternatifs ont mis une pression sur le journalisme « traditionnel ». La disparition du journalisme d’investigation conduit lentement à un appauvrissement de la diversité de réflexion. On voit se multiplier les pigistes, qui se prennent pour des éditorialistes, mais sans en avoir l’expérience, ni le recul, qui construisent plus leur notoriété sur le « buzz » que sur la qualité de leurs articles, parfois même sans comprendre les sujets sur lesquels ils écrivent.

L’influence est une notion globale, qui comprend à la fois ce que l’on publie et ce que l’on ne publie pas. Ainsi, durant la crise des « Gilets jaunes », le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, attribue la violence des « casseurs » aux «séditieux de l’ultradroite» et la responsabilité à Marine Le Pen. Pourtant, la majorité des casseurs seraient d’extrême-gauche… L’« attaque » de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, le 1er mai 2019, est iconique de la désinformation menée par des médias (comme BFMTV ou France 2) qui relaient servilement la parole du gouvernement. Il faut aller sur les médias alternatifs pour avoir une image plus complète des événements, je recommande l’excellent travail de débunkage effectué sur YouTube par « Troublefait ». Ce filtrage permanent de l’information a

deux effets principaux. Le premier est qu’il tue lentement le journalisme traditionnel, qui perd toute crédibilité. Le second, est que celui qui voudrait connaitre des détails sur les manifestations des gilets jaunes en France n’a guère d’autre choix que… RT ! C’est ce qui explique le succès de RT International : la censure informelle qui s’exerce sur certains sujets en Occident pousse le consommateur vers RT. En somme, on pousse le citoyen à s’informer là où l’on pense qu’il y a désinformation ! C’est absurde !

Au-delà des lignes éditoriales qui s’étendent sur les médias d’un même groupe, il est certainement faux d’imaginer un « deus ex machina » qui dirige l’information dans le monde. En revanche, on constate qu’il y a une forme de sélection des médias en fonction d’une « doxa » et qui élimine les « cerveaux malades ».

Il est difficile d’en définir les contours, mais on observe une attraction pour les situations qui demanderaient des interventions étrangères : c’est plutôt le « goût du sang » que l’idéologie qui domine. C’est en fait une forme de corruption de médias qui sont à la recherche d’une audience pour survivre.

En Norvège, une étude sur la participation du pays à la guerre en Libye a mis en évidence que les médias traditionnels avaient systématiquement adopté la ligne la plus guerrière. Aux États-Unis, la démocrate Tulsi Gabbard, candidate dans la primaire du parti démocrate pour la présidentielle de 2020 (et commandant de réserve de l’armée américaine), farouchement opposée aux interventions militaires, est systématiquement écartée des débats et des médias américains et européens, voire présentée comme un « agent russe ». D’ailleurs la presse suisse n’en n’a pratiquement pas parlé, alors qu’elle était sans doute la meilleure candidate pour la présidentielle de 2020… ce qui n’est pas très difficile !

D’ailleurs, on notera que l’assassinat (avéré) du journaliste Jamal Khashoggi n’a pas poussé l’Union Européenne à prendre des sanctions contre le régime saoudien… confirmant ainsi que notre notion des droits humains est à géométrie variable, et que l’on passe assez rapidement des soupçons aux certitudes… quant ça nous chante. Les médias traditionnels européens se présentent volontiers comme opposés à Donald Trump, mais ils relaient ses messages sur l’Iran, la Russie ou la Syrie !

 

Résultats de recherche pour

ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD
POLITIQUE, SOCIÉTÉ,

 

VOIX

LA FAUSSE BANNIÈRE, LA RUSSIE EN LIGNE DE MIRE DE NOS MÉDIAS,

SUITE DES ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD

-Jacques BAUD, dans le précédent sujet de ce blog consacré à la fausse bannière et au « Russiagate », vous vous êtes demandé l’intérêt qu’aurait la Russie à autant d’ingérences dont elle est le plus souvent accusée et ce d’autant, avez-vous relevé, que « nos médias se plaisent à présenter Poutine comme un joueur d’échecs, une telle gestion des affaires défierait la logique. » Disposeriez-vous d’éléments susceptibles de nous éclairer sur l’usage informatique fait de la fausse bannière?

Jacques BAUD: –En octobre 2020, John Ratcliffe, Directeur du Renseignement National, déclassifie des documents de 2016 concernant la soi-disant « ingérence russe » dans l’élection de Trump. Il s’agit d’une analyse des services de renseignements russes interceptée par la CIA et d’une note de manuscrite de Brennan, alors Directeur de la CIA. Ces documents dévoilent qu’Hillary Clinton aurait approuvé, le 26 juillet 2016, la proposition de l’un de ses conseillers en politique étrangère de vilipender Donald Trump en créant un scandale en alléguant l’ingérence des services de renseignement russes. Bien que la note de déclassification précise que « la Communauté du Renseignement n’est pas en mesure d’évaluer cette information ni de déterminer dans quelle mesure l’analyse des renseignements russes peut résulter d’une exagération ou d’une fabrication », force est de constater que les services russes sont nettement supérieurs à leurs homologues occidentaux…

Associated Press tentera un « débunkage » en affirmant que l’analyse russe ne prouve rien. C’est une pièce d’anthologie de charlatanisme, car lorsqu’elle est bien faite, une analyse de renseignement (russe en l’occurrence) concerne le futur, et – puisque personne ne possède de boule de cristal – il est très rare qu’on ait à l’avance les preuves que quelque chose puisse se passer ! On a des preuves lorsqu’on travaille avec le passé ! Ici, la meilleure preuve que les services russes ont bien travaillé est que leur avertissement est arrivé avant la campagne de dénigrement lancée par le Parti Démocrate et s’est déroulé comme leur analyse l’anticipait.

Au passage, notons que si les services de renseignement occidentaux ont développé une remarquable capacité à collecter de l’information, les services russes ont généralement une capacité analytique très supérieure à celle des Occidentaux.

Au début décembre 2020, une cyberattaque touche le logiciel Orion de la firme SolarWinds, qui gère des réseaux informatiques américains. La firme de sécurité informatique FireEye estime qu’il s’agit d’ « une attaque par une nation dotée de capacités offensives de haut niveau ». Comme Microsoft, elle n’attribue pas cette attaque à un pays particulier.

Mike Pompeo accuse la Russie, tandis que Donald Trump minimise le rôle de la Russie et pointe du doigt la Chine. Les deux mentent. En fait, personne ne connaît les auteurs de l’attaque et chacun donne libre cours à ses fantasmes.

Car aucun élément dans la signature ou les traces de l’intrusion n’indique un lien avec la Russie. Cela n’empêche pas Reuters d’évoquer des « hackers dont on pense qu’ils travaillent pour la Russie », ni Associated Press où « l’expert » Dimitri Alperovitch porte la même accusation. Pour rappel, Alperovitch, travaille pour la firme de sécurité informatique CrowdStrike, qui avait « analysé » les serveurs du Parti Démocrate en 2016 et qui – après avoir accusé la Russie – confessera plus tard devant une commission du congrès qu’elle n’avait trouvé aucune preuve de la responsabilité de la Russie. En décembre 2016, afin de justifier des tirs contre des civils, Alperovitch avait affirmé que la Russie avait piraté un bataillon d’artillerie ukrainien ; une information que l’on savait un peu grosse et qui s’avérera fausse, mais qui est relayée sans réserve par la RTS.

C’est sur ces fragiles bases que le 22 décembre 2020, le quotidien Le Temps parle d’une « vaste cyberattaque attribuée à la Russie ».

En janvier 2021, quelques agences rassemblées dans un groupe de travail (UCG) comprenant l’Office du Directeur du Renseignement National (ODNI), le FBI, la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA) et avec l’appui de la National Security Agency (NSA), publient une déclaration commune sur l’évènement. La Tribune de Genève écrit :

La Russie est «probablement» à l’origine de la gigantesque cyberattaque décelée en décembre aux États-Unis, ont conclu mardi les services de renseignement américains.

Magnifique exemple de mensonge, teinté de complotisme (c’est-à-dire : voir des complots où il n’y en a pas !) visant à désinformer. La déclaration commune dit clairement que « L’UCG travaille encore pour comprendre la portée de l’incident » et qu’en l’état « Ce travail indique qu’un acteur de Menace Persistante Avancée (APT), probablement d’origine russe, est responsable… ». En d’autres termes, l’UCG n’a rien « conclu » à ce stade, ni affirmé qu’il s’agit de « la Russie », comme l’affirme la TdG. Tout au plus y-a-t’il des indications qu’il s’agit d’un « acteur basé en Russie ». En outre, ce ne sont pas « les » services de renseignement, mais « des » services de renseignement, car l’UCG n’en compte que deux (voire un seul (le FBI), l’autre – la NSA – ne fournissant qu’un appui technique) : l’ODNI n’est qu’un organe de coordination et la CISA une agence technique. On est donc dans la manipulation.

En fait, la TdG a simplement « singé » le New York Times, qui affirme depuis décembre 2020 que la NSA avait annoncé cette attaque, ce qui est faux, et qui affirme que la firme FireEye a attribué l’attaque à la Russie, ce qui est également faux, comme nous l’avons vu.

Donc, en réalité, encore à ce jour, personne ne sait d’où vient l’attaque informatique.

-En d’autres termes, Jacques BAUD, les exemples que vous venez de nous donner là illustrent, soit l’absence d’éthique journalistique, soit la volontaire orientation de l’information ou les deux ensemble dès lors que ces médias que vous citez, font de probabilités des affirmations sinon des vérités sans preuves avérées…Ce qui nous amène au coeur même de l’usage de la fausse bannière et de ses conséquences…

Jacques BAUD: -En 2017, sous le titre « Vault 7 », Wikileaks a publié une série de documents de la CIA, qui dévoilait quelques-uns de ses « outils », spécialement développés pour exploiter les failles de logiciels, qui n’ont pas encore été détectées par leurs fabricants (« zero day vulnerabilities »), et contre lesquelles n’existent pas encore de parades. Un des outils dévoilés est MARBLE FRAMEWORK, un logiciel spécialement conçu pour simuler les « modus operandi » de hackers, afin de couvrir les traces d’une intrusion en faisant croire à une attaque venant d’un autre pays, et laissant des traces en arabe, en russe, en chinois, en coréen ou en farsi… Un outil idéal pour la fausse bannière, également utilisé par Israël…

Bill Binney, ancien directeur technique de la NSA, explique que les soi-disant intrusions russes qui ont entouré le Russiagate ont été – en fait – perpétrées et fabriquées par la CIA grâce à cet arsenal informatique.

Cela explique que, quelle que soit la cible de l’attaque (politique, militaire, financière, industrielle, etc.) on tombe invariablement sur deux « acteurs » (APT 28 et APT 29) (des désignations créées par des firmes occidentales, attribuées – sans aucun élément de preuve – au FSB et au GRU russes). Or, s’il s’agissait des Russes, il y aurait des objectifs stratégiques plus cohérents. Ainsi, c’est probablement les Américains ou les Israéliens qui ont utilisé ce logiciel pour pirater RUAG en janvier 2016, probablement dans le cadre d’une vente d’armes et de munitions au Service Fédéral de Protection russe (FSO) (et non de Surveillance, comme le traduit fallacieusement la TdG !). L’attaque a tout de suite été attribuée à la Russie, même s’il semble un peu surprenant que la Russie se risque dans une telle opération pour quelques pistolets qu’elle aurait achetés elle-même ! Il semble plus vraisemblable que d’autres acteurs aient cherché des informations sur ces transactions, comme les États-Unis ou Israël. Contrairement aux Européens, ces derniers ont une lecture très exclusive de la notion d’ « alliance », et leurs pratiques n’excluent pas de tirer dans le dos de leurs amis…

Ainsi, lorsque Le Temps affirme que « le modus operandi de la vaste cyber attaque touchant administration américaine et multinationales met en cause la Russie », on est dans rien d’autre que du charlatanisme journalistique.

En conclusion, nous ne pouvons avoir aucune certitude. Mais ces actions sous fausse bannière ont deux conséquences essentielles : a) que nos services de renseignements peuvent être aisément dupés et b) que nos politiques étrangères (notamment les sanctions, condamnations, etc.) peuvent être facilement corrompues et être souvent fondées sur l’ignorance et sur la désinvolture.

Car comme nous l’avons déjà dit, ces actions d’influence répondent toujours à des enjeux et à des objectifs concrets. Aux États-Unis, les candidats des présidentielles de 2016 et 2020, sont arrivés au coude-à-coude. Mais on observe que l’énergie dépensée par les Démocrates pour convaincre – mesurée à leurs dépenses de campagne – a été en 2016 et en 2020 de 30-40% supérieure à celle des Républicains. Élu Démocrate en décembre 2020 en Géorgie, Jon Ossoff, est le candidat à une sénatoriale le plus « cher » de l’Histoire des États-Unis.

Comme nous l’avons vu, l’idée d’une collusion entre Trump et la Russie est tout simplement absurde. Ce que nous observons aujourd’hui n’a rien à voir avec la Russie. Face à sa propre faiblesse et son incapacité à convaincre largement, le parti Démocrate, doit affaiblir ses adversaires. C’est pourquoi, on a aujourd’hui une lutte pour évincer Trump définitivement en vue de la prochaine présidentielle…

 

CULTURE, ECONOMIE, HISTOIRE, POLITIQUE, RELIGIONS, SOCIÉTÉ,

 

VOIX

SUITE DES ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD SUR CE TERME TRÈS EN VOGUE DE « CONSPIRATIONNISME » …

Jacques BAUD: -On associe souvent le conspirationnisme au populisme ou à l’extrême-droite. C’est souvent vrai, mais notre perspective est généralement faussée par l’absence de rigueur pour définir le « conspirationnisme » : la soi-disante lutte contre le conspirationnisme devient donc un instrument d’influence. Ainsi, en 2017 et 2019, la Fondation Jean-Jaurès (en collaboration avec l’IFOP et Conspiracy Watch) a publié deux enquêtes sur l’adhésion aux théories du complot dans la population française. La particularité de ces enquêtes est d’associer des questions d’importance mineure – comme la mort de Lady Di, la platitude de la terre ou le fait que les Américains ne seraient pas allés sur la lune – avec « l’importance accordée au fait de vivre en démocratie ».

La conception même des enquêtes fait que l’interprétation des résultats est problématique. Ainsi, le fait d’approuver l’affirmation « Les Illuminati sont une organisation secrète qui cherche à manipuler la population » n’implique pas nécessairement que l’on croie qu’ils le fassent effectivement. Pourtant le magazine Le Point – et… Le Temps ! – n’hésitent pas à en tirer la conclusion qu’ “un Français sur quatre pense que les Illuminati nous manipulent ». C’est évidemment un mensonge : « chercher à » ne signifie pas qu’on le fait et le « nous » est une précision que la question initiale n’évoquait pas du tout. En l’occurrence, Le Point serait plutôt « complotiste » ! Par ailleurs, les questions elles-mêmes induisent en erreur. Par exemple, on demande de se prononcer sur la proposition « Seule une poignée d’initiés est capable de décrypter les signes de complot qui ont été inscrits sur les billets de banque, les logos de marques célèbres ou dans des clips musicaux ». Ainsi, on affirme que des « signes de complot […] ont été inscrits » sur les billets de banque ; il est dès lors logique de penser que seuls les initiés peuvent les comprendre. Pour avoir une réponse pertinente, il aurait fallu demander si l’ « on croit que des signes ont été inscrits… ».

Les auteurs de ces études jouent sur les ambiguïtés pour faire apparaître des « théories complotistes », dans le but d’établir une corrélation entre l’adhésion à une « théorie du complot » et le doute sur la démocratie. Ainsi, l’affirmation « Le trafic de drogue international est en réalité contrôlé par la CIA » est très probablement fausse exprimée de cette manière ; mais elle n’est pas sans lien avec la réalité. Déjà en 1993, le New York Times affirmait que les liens entre la CIA et le trafic de drogue remontaient à la création de l’agence. Car la CIA a effectivement été – et reste – impliquée dans de nombreux trafics de drogue. À la fin des années 40, en échange de la lutte contre les syndicats communistes à Marseille, la CIA avait permis aux mafias italienne et corse de poursuivre leurs trafics de drogue : c’est la célèbre « French connection ». Plus tard, en Indochine, s’inspirant de la stratégie du SDECE français, qui avait financé la production et la distribution de drogue pour obtenir le soutien des tribus Hmong (Opération X), la CIA a effectivement soutenu les producteurs d’opium du « Triangle d’Or » dans les années 1960 – 1970 (Opération PAPER), afin de créer un rempart contre la progression du communisme dans le Sud-Est asiatique et organisé les transports de drogue. En Amérique latine, la CIA a appliqué la même stratégie en soutenant les producteurs de coca afin de contrer l’implantation de maquis marxistes… avant de se retourner contre eux après l’échec des guérillas communistes En Afghanistan, sous le gouvernement des Talibans, la production d’opium avait été réduite un minimum historique de  74 tonnes en octobre 2001, mais 17 ans après le début de l’intervention occidentale à la fin 2018, elle atteignait 6 400 tonnes, soit 82% de la production mondiale. Malgré que l’éradication de la production de drogue ait été l’un des objectifs de leur intervention en Afghanistan , les Occidentaux ont été incapables de lui trouver une alternative. En fait, les Américains et l’OTAN ont fermé les yeux et même protégé cette culture illicite afin d’éviter que les seigneurs de la guerre locaux ne s’allient avec les Taliban. En 2010, l’OTAN a même refusé une offre russe pour éradiquer les plantations d’opium.

Ainsi, affirmer que le trafic de drogue international est « contrôlé par la CIA », est certainement une affirmation fausse, mais douter de l’éthique des États-Unis et d’institutions internationales à ce propos est loin d’être irrationnel !

De même, l’affirmation « certaines traînées blanches créées par le passage des avions dans le ciel sont composées de produits chimiques délibérément répandus pour des raisons tenues secrètes » est très certainement fausse aujourd’hui, mais les craintes qu’elle reflète est aussi basée sur des faits réels. Les 26-27 septembre 1950, la marine américaine a disséminé secrètement des agents biologiques au-dessus de la baie de San Francisco (Opération SEA SPRAY) afin de tester la vulnérabilité d’une zone urbaine. L’opération ne sera dévoilée qu’en 1976, mais elle a été reproduite dans d’autres pays, notamment en Grande-Bretagne au début des années 1970 . En 1977, l’armée américaine confessera avoir mené 239 expériences de dissémination d’agents biologiques sur des populations entre 1949 et 1969 . A l’évidence, les traînées que l’on peut voir aujourd’hui dans le ciel derrière les avions (« chemtrails ») sont un phénomène physique qui n’a aucun lien avec des armes chimiques, et il est très improbable que de telles expériences soient encore menées de nos jours; mais, les craindre n’est donc pas totalement irrationnel non plus. Le problème ici est que ceux qui cherchent à « débunker » ces théories complotistes le font mal : au lieu d’expliquer l’origine de cette crainte et rationaliser la question, il y répondent de manière dogmatique, notamment, comme le fait Le Temps, en accusant ceux qui y croient de « défiance envers la démocratie ». Or c’est précisément cette opacité dans le « débunkage » qui contribue au développement de théories complotistes.

Les outils mis en place par certains médias sont eux-mêmes devenus des outils d’influence… et de désinformation. Car finalement, le terme « conspirationnisme » ou « complotisme » ne finit par être utilisé seulement pour discréditer une opinion divergente. En mars 2013, la passe d’arme entre Patrick Cohen et Fréderic Taddeï sur France 5 illustre la tendance actuelle d’exploiter le « complotisme » pour y adosser une forme de censure et imposer un discours officiel. Patrick Cohen défend l’approche de filtrer les opinions venant de « cerveaux malades » dans les médias publics, car on n’a pas le droit de penser ce que l’on veut.

François Asselineau, candidat à la présidentielle de 2017, dérange : sa connaissance des dossiers, la solide argumentation qu’il a développée contre l’UE, l’Euro et l’OTAN en ont fait un adversaire redouté au plan politique et sur les plateaux de télévision, même si son audience reste modeste. N’hésitant pas à mettre le doigt sur les détails qui dérangent nos préjugés, il est souvent qualifié de «complotiste » par la presse. Il affirme, entre autres, que la construction de l’Europe était initialement un projet américain et que le Dalaï Lama était un agent de la CIA. Or, bien que le mot « agent » est impropre, (car techniquement, le Dalaï Lama n’a jamais été un « employé » de la CIA, mais plutôt une « ressource » (en anglais : asset), le Dalaï Lama et son mouvement ont bel et bien été soutenus par l’ «Agence» dès l’annexion du Tibet par la Chine, en 1950 . La CIA l’ex filtre de Chine en mars 1959, arme et finance les mouvements de résistance qui lui sont fidèles aux confins du Népal et de l’Inde jusqu’au début des années 70 (avec le rapprochement entre le gouvernement Nixon et la Chine). Mais le soutien aux mouvements tibétains s’est poursuivi dans le cadre des « révolutions de couleur » à travers des institutions et fondations financées par le gouvernement américain. Évidemment, l’association entre un guide spirituel respecté et une agence d’espionnage nous choque et nous tendons à la qualifier de « complotiste ». Mais c’est ignorer que le Dalaï-Lama est une des clés de la légitimité de l’autorité de la Chine dans cette province turbulente et qu’elle a tenté d’imposer « son propre » dalaï-lama : l’enjeu est ici stratégique, plus que spirituel.

De même, les Européens n’aiment pas beaucoup l’idée que « leur » Europe ait été façonnée par les États-Unis et la CIA. C’est pourtant vrai ! En 1945, l’Union soviétique fait face à une Europe exsangue et très affaiblie sur tous les plans. Les États-Unis comprennent que les rivalités qui avaient conduit aux deux guerres mondiales pourraient faire le jeu de l’URSS dans un nouveau conflit. Ce risque est d’autant plus grand que la libération de l’Europe s’est largement appuyée sur les maquis communistes (comme en France et en Italie), qui entretiennent des liens étroits avec Moscou. Les Américains cherchent donc à favoriser en Europe un paysage politique resserré sur le centre, et débarrassé des extrêmes de droite comme de gauche. C’est la raison pour laquelle la CIA financera le syndicat Force Ouvrière en France dès 1948 (pour « casser » l’influence soviétique dans le mouvement syndical ) et la Démocratie Chrétienne en Italie, afin de contrer le puissant parti communiste aux élections de 1948. Entre 1947 et 1953, la CIA aurait versé plus d’un million de dollar au Mouvement Européen britannique . En 1975, lors du référendum pour le maintien (ou non) de la Grande-Bretagne dans la Communauté Economique Européenne (CEE), la CIA soutient financièrement le mouvement en faveur du « oui » . Une ingérence bien avant la Russie… mais avérée, celle-là !

 

 

NOUVEAUX ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD SUR COMPLOTISME ET COMPLOTS

Skripal et Navalny

–Jacques Baud, nous avons largement évoqué le complotisme mais pourtant, des complots existent. Comment distinguez-vous le complotisme de l’identification de complots réels?

Jacques BAUD:– Comme nous l’avons vu, le conspirationnisme consiste à voir – pour un événement particulier – l’enchaînement de faits comme un phénomène construit et volontaire afin de poursuivre un objectif déterminé (souvent peu avouable). Par exemple, le fait d’affirmer que le gouvernement russe a tenté d’empoisonner Navalny (ou Skripal) est typiquement conspirationniste: on sait que Navalny est un opposant, on sait qu’il a été empoisonné, on a retrouvé des traces de « Novitchok » et on sait que la Russie est l’un des pays où le Novitchok a été synthétisé; mais le fait d’établir un lien univoque entre ces éléments pour affirmer qu’il s’agit d’une opération du gouvernement russe relève de la construction intellectuelle. D’ailleurs, le communiqué du gouvernement allemand n’accuse pas la Russie et se borne à demander des explications.

Ces liens artificiels ne peuvent souvent être élaborés qu’en excluant d’autres possibilités (par exemple, la possibilité que Navalny ait été empoisonné par l’une des nombreuses personnes corrompues contre lesquelles il lutte et qui sont liées à la mafia). L’exclusion de ces autres possibilités relève le plus souvent du négationnisme. Par exemple:

Ce ne sont que deux exemples de leurs jugements basés sur des éléments tronqués et qu’Hannah Arendt appelait « défactualisation », qui illustrent une caractéristique centrale du complotisme : attribuer une cause unique à des faits avérés.

Le complotisme est moins lié à ce que l’on pense qu’à la manière dont on construit sa pensée. Lorsque cette dernière est construite en fonction d’une posture idéologique, elle tend à chercher à confirmer une conclusion préétablie. C’est le problème de la majorité des « fact-checkers » et de ceux qui prétendent lutter contre le complotisme: bien souvent, ils finissent par substituer un complotisme à un autre. La lutte contre le complotisme, lorsqu’elle n’est pas faite sérieusement, n’est rien d’autre qu’une manière de manipuler l’opinion. Le complotisme n’est pas simplement le fait d’envisager des hypothèses dans une situation où la réalité n’est pas claire, mais lorsqu’on tente d’imposer l’une d’entre elles.

Nous avons déjà évoqué le quotidien Le Temps dans le contexte du complotisme. Le 22 octobre, relatant une conférence de presse de John Ratcliffe, Directeur du Renseignement National (DNI) américain, ce quotidien suisse, qui se veut être la référence suisse du journalisme de qualité, déclare que la Russie et l’Iran ont entrepris des actions pour influencer la présidentielle du 3 novembre. Pourtant, rapportant le même événement, Reuters affirme qu’ « il n’y a aucune preuve concluante » de cette accusation, tandis que selon le Washington Post, les métadonnées recueillies à partir des e-mails ont montré l’utilisation de serveurs en Arabie saoudite, en Estonie, à Singapour et aux Émirats arabes unis. Certes, le quotidien suisse ne fait que relater une conférence de presse, mais on note que le quotidien n’a pas la même « assiduité » pour relater que John Ratcliffe a déclassifié des documents en septembre 2020, qui tendent à montrer que « l’ingérence » russe lors de la présidentielle de 2016 était – en réalité – le fait des Démocrates, qui cherchaient à engager une procédure de destitution contre Trump… C’est cette absence de rigueur dans l’application d’une déontologie journalistique qui ouvre la porte au conspirationnisme.
Ainsi, ceux qui sont très prompts à dénoncer le « conspirationnisme » sont-ils souvent les mêmes qui tendent à influencer l’opinion en fonction de leurs propres préjugés.

Le conspirationnisme est généralement associé au développement des réseaux sociaux. C’est très partiellement vrai, mais c’est souvent une illusion d’optique: la plupart des « théories du complot » « sérieuses » que l’on évoque habituellement sont très antérieures aux médias modernes et aux réseaux sociaux. Internet n’est pas seulement un moyen de propager des fausses nouvelles, mais aussi un outil pour les neutraliser… à condition d’être bien utilisé! Avant 1990, 80% des Américains considéraient l’assassinat de Kennedy comme un complot, mais ils ne sont aujourd’hui que 60% . En fait, la majeure partie des théories complotistes circulent entre « convaincus ». L’émergence de théories alternatives a le plus souvent son origine dans la communication déficiente des autorités, qui, pour des raisons diverses, tentent de cacher leurs propres erreurs.

 

A PROPOS DE COMPLOTISME,

SUITE DES ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD

-Jacques BAUD, dans nos trois précédents entretiens, il a été brièvement question de complotisme et de conspirationnisme. Or ces termes sont devenus un outil pour lutter contre la liberté d’expression. Comment définiriez-vous le complotisme?

Jacques BAUD: -En fait, le « complotisme » est devenu un anathème que l’on utilise sans en comprendre le sens, au contenu flou, qui permet simplement de rejeter les informations qui déplaisent. C’est devenu une manière de « blasphémer » contre un discours officiel. Or, c’est un concept bien défini, que j’essaie d’ailleurs d’expliquer dans mon ouvrage.

Les principaux critères, qui permettent de déterminer le caractère « complotiste » d’une théorie reposent sur une action coordonnée:
– En fonction d’une stratégie ou d’un calcul machiavélique en vue d’un objectif défini, qui peut être répréhensible;
– Par une institution, une élite, un petit groupe ou une minorité ;
– De manière furtive ou clandestine.

Tout comme le terrorisme, le complotisme (ou conspirationnisme) n’est pas une doctrine, c’est une méthode. Elle est basée sur l’affirmation que des événements sont le résultat de complots ou, plus largement, qu’ils sont le résultat d’une démarche volontaire ou l’expression d’une logique. Elle aboutit à attribuer une cause unique à des faits avérés.

Le complotisme peut comprendre des « fake news » ou « fausses informations », mais d’une manière générale, il s’en distingue en ce qu’il utilise souvent des informations qui sont vraies : c’est alors le lien établi entre elles qui est souvent faux.

Par exemple, on affirme volontiers qu’une des causes principales du mécontentement en Belarus est « la gestion désastreuse de la pandémie par un président ouvertement corona-sceptique ». Que le président soit « corona-sceptique » semble assez évident, mais qu’il ait géré l’épidémie de manière désastreuse est un mensonge. En effet, un simple examen des chiffres montre que le Belarus avait – au moment de cette affirmation, le 22 juillet – une mortalité 4x inférieure à celle de la Suisse et une létalité par cas confirmé (CFR) 6,25x inférieure à celle de la Suisse. Or, selon l’OMS, le CFR est un indicateur pour évaluer la mise en œuvre des mesures de santé publique : au 20 septembre, avec un CFR de 1%, le Belarus fait 3,6x mieux que la Suisse et 7,1x mieux que la France ! L’accusation est donc fausse et l’objet d’une construction de type complotiste : on associe les fanfaronnades (avérées) du président Loukachenko (vodka comme remède, etc.) à l’affirmation (fausse) d’une « gestion désastreuse » pour créer une logique (artificielle) qui légitime la contestation au Belarus.

Malgré qu’elle ne soit pas démontrée par les faits, cette accusation de « gestion désastreuse » a circulé dans presque tous les médias qui soutiennent la politique de Donald Trump. Les médias plus factuels ont exprimé plus de circonspection.

–Merci d’avoir abordé la problématique biélorusse. Dans le prochaine partie de notre entretien, nous examinerons les techniques utilisées par le complotisme, avec des cas concrets.

 

WASHINGTON, LE CAPITOLE AU COEUR DE COMPLOTISMES ?

DÉCRYPTAGE AVEC JACQUES BAUD

-Jacques Baud, dans le cadre de nos entretiens sur le complot, le complotisme et le conspirationnisme, quelles réflexions vous inspirent les événements récents de Washington ?

Jacques BAUD: -Le mandat de Trump s’achève : quatre ans d’un « règne » guidé par l’opportunisme, le mensonge et la sottise. Durant ces quatre ans, aux États-Unis et en Europe, les dirigeants et nos médias ont craché sur l’héritage des « Lumières » en encourageant un « despotisme peu éclairé », qui trouve toute sa « consécration » dans le désastre de la gestion de la crise de la CoViD.

Les images du 6 janvier à Washington ont provoqué – à juste titre – l’indignation générale. Mais en fait, les partisans « pro-Trump », n’ont fait que répéter la mécanique bien rodée de l’administration Trump : on conteste les résultats d’élections, afin de provoquer des manifestations et des violences.

Ça ne vous rappelle rien ? A Hong Kong, lorsque les manifestants « pacifiques » financés par l’administration Trump, ont vandalisé le Parlement de Hong Kong en juin 2019, aucun média ou politicien occidental s’est ému.

Lorsque Trump affirme qu’il y a eu fraude lors de la présidentielle et qu’il a gagné l’élection, on répond – avec raison – qu’il ment. Mais, lorsque l’opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa affirme avoir gagné les élections en août 2020, on la croit sans discuter et sans aucun élément de preuve. Pourtant, le résultat de l’élection est cohérent avec les scrutins précédents. Et même s’il est possible qu’il y ait eu des fraudes au niveau local, elles n’ont jamais été démontrées. Durant 29 ans, les élections au Belarus ont été systématiquement observées par les experts de l’OSCE ; or, en août 2020, l’OSCE n’a pas envoyé d’observateurs, malgré la demande du Belarus (on a évoqué le « retard » de l’invitation du Belarus à l’OSCE, mais c’est faux, car non seulement le Belarus avait annoncé plus de 6 mois à l’avance des élections et envoyé une invitation formelle, cette dernière n’est pas nécessaire). Donc on ne vérifie pas, on affirme qu’il y a eu fraude et cela suffit à déclencher un processus de violence.

Au Venezuela, l’administration Trump fait encore mieux : l’opposition ne participe pas aux élections pour affirmer ensuite qu’elles ont été truquées. En 2018, Juan Guaidó, le Navalny vénézuélien, financé par les États-Unis, était pratiquement inconnu avant que Trump et son administration ne le sortent de son anonymat. Car, comme je l’ai expliqué dans mon ouvrage « Gouverner par les Fake News », il n’a jamais été élu et s’est retrouvé à la tête de l’assemblée parlementaire simplement par le jeu des présidences tournantes et des vacances à la tête de son parti… Comme au Belarus, l’invitation adressée au début septembre par Nicola Maduro à l’Union Européenne pour observer les élections de décembre a été déclinée par l’UE : plus facile ainsi de déclarer l’élection illégitime…

Quant au cas Navalny, nous en avons déjà parlé…

-En effet et je renvoie nos lectrices et nos lecteurs aux sujets de ce blog indiqués ici et là, en lien.

Jacques BAUD: -Donc les événements de Washington ne sont que la continuation de pratiques (des mêmes personnes) que nous avons très largement acceptées – voire encouragées – dans d’autres pays…

Pour mettre en évidence l’hypocrisie de médias et de journalistes corrompus et à l’éthique professionnelle douteuse, rappelons ici que durant ses quatre ans de présidence, on a prétendu que Trump était sous l’influence de Poutine, qu’il y avait entre eux une connivence, que « Poutine adore Trump », que Poutine aurait cherché à le faire réélire, car il y aurait une « alchimie positive » entre eux, au point que Trump préfèrerait Poutine à ses partenaires de l’OTAN. 

Pour mettre un peu d’objectivité dans ces élucubrations examinons cette « amitié » que Trump a vouée à Poutine ces dernières années, et comment il l’a remercié d’avoir « facilité » son élection en 2016 :

Des soldats américains déployés dans plusieurs pays d’Europe (02.2017)

Les premiers chars américains débarquent en Europe pour se déployer à l’est (01.2017)

Trump tire 59 missiles de croisières contre la Syrie (04.2017)

Trump refuse à ExxonMobil la levée des sanctions contre la Russie (04.2017)

Pour Poutine, l’arrivée de Trump a dégradé les relations russo-américaines (04.2017)

Trump encourage la vente de gaz naturel auprès des clients de la Russie (07.2017)

Donald Trump promulgue les nouvelles sanctions contre la Russie (08.2017)

Trump inscrit RT comme “agent étranger” (09.2017)

US ‘to restrict Russian military flights over America’ (09.2017)

Washington interdit aux agences fédérales l’antivirus Kaspersky (12.2017)

Kaspersky : le président Donald Trump promulgue une loi interdisant l’utilisation des produits de l’éditeur au sein du gouvernement (12.2017)

Trump autorise la vente d’armes létales à l’Ukraine (12.2017)

Russie: nouvelles sanctions américaines, le dirigeant tchétchène visé (12.2017)

Washington accuse la Russie d’aider la Corée du Nord (01.2018)

Pour les États-Unis, la Chine et la Russie sont de plus grandes menaces que le terrorisme (02.2018)

Syrie : des combattants russes tués par des frappes américaines ? (03.2018)

Trump ordonne la fermeture du consulat de Russie à Seattle (03.2018)

Affaire Skripal: Trump ordonne l’expulsion de 60 Russes (03.2018)

Pour faire face à la Russie, les Etats-Unis déploient leur armée en Europe de l’est (04.2018)

Trump critique l’Allemagne pour le projet Nord Stream 2 (04.2018)

Washington sanctionne des « oligarques » proches de Poutine (04.2018)

Trump lance des frappes ciblées en Syrie avec la France et le Royaume-Uni (04.2018)

Tensions entre les États-Unis et la Russie autour de la Syrie : vers un retour de la Guerre froide ? (04.2018)

Aluminium. Le géant russe Rusal, sanctionné par Washington, dévisse à la Bourse (04.2018)

Iran : la Russie « profondément déçue » par la décision de Trump (05.2018)

Trump demande à ses alliés d’accroître leurs dépenses militaires à… 4% du PIB (07.2018)

Otan: Trump affirme à Macron qu’il n’y a « pas de rupture » avec l’Europe (07.2018)

Affaire Skripal. Washington annonce de nouvelles sanctions contre Moscou (08.2018)

Etats-Unis : signature d’un budget record pour le Pentagone (08.2018)

Donald Trump prêt à lancer son armée de l’espace (08.2018)

Les États-Unis sanctionnent la Chine pour ses achats d’avions Su-35 et de systèmes S-400 auprès de la Russie (09.2018)

L’Inde acquiert des systèmes antiaériens russes, malgré les avertissements de Washington (10.2018)

Trump se retire d’un traité nucléaire avec la Russie (10.2018)

Donald Trump va infliger de nouvelles sanctions à la Russie (11.2018)

Tensions entre la Russie et l’Ukraine : Trump annule une rencontre avec Poutine (11.2018)

Ingérence électorale: sanctions américaines contre des agents russes (12.2018)

Affaire Skripal : les Etats-Unis imposent de nouvelles sanctions financières à la Russie (08.2019)

Les États-Unis sortent officiellement du traité de désarmement sur les armes nucléaires FNI (08.2019)

Les États-Unis vont déployer 1000 soldats en Pologne, selon Trump (06.2019)

Donald Trump approuve les sanctions américaines à l’égard des entreprises collaborant au gazoduc Nord Stream 2 (01.2020)

Les États-Unis sanctionnent Rosneft Trading S.A. pour sécuriser les ressources naturelles du Venezuela (02.2020)

Trump annonce le retrait du traité Ciel ouvert, accusant Moscou de le violer (05.2020)

Trump confirme pour la première fois une cyberattaque américaine contre la Russie (07.2020)

Traité New Start : Washington rejette l’offre «inacceptable» de Poutine (10.2020)

Les États-Unis se retirent officiellement du traité « Ciel ouvert » (11.2020)

La Russie accuse un navire américain d’avoir violé ses eaux territoriales (11.2020)

Les États-Unis sanctionnent la Turquie pour l’achat de missiles russes S-400 (12.2020)

Pompeo accuse la Russie de « semer le chaos » autour du bassin méditerranéen (12.2020)

Les Etats-Unis vont fermer leurs consulats en Russie (12.2020)

Les Etats-Unis accentuent les sanctions contre le gazoduc Nord Stream 2 (01.2021)

Si vous vous demandez pourquoi nos medias n’inspirent aucune confiance, que prolifèrent les théories du complot, que le public ne montre plus d’intérêt pour s’impliquer dans nos démocraties, vous avez la réponse. Les médias, autrefois surnommés « 4e pouvoir », n’en sont devenus que le prolongement négatif, en soutenant des gouvernements qui financent les opposants dans d’autres pays, qui ne respectent pas le droit international, qui mentent sur leurs propres actions pour échapper au verdict des urnes, etc…

A méditer

 

POLITIQUE, SOCIÉTÉ,

 

VOIX

AFFAIRE NAVALNY,

LA VIDÉO ET AUTRES QUESTIONS POSÉES À JACQUES BAUD DANS LE CADRE DE NOS ENTRETIENS

-Jacques BAUD, dans le précédent sujet de ce blog consacré au blogueur russe Alexeï Navalny, vous nous avez fait part de diverses informations de grand intérêt pour comprendre comment nos médias relatent ce qui concerne celui qu’ils s’ingénient – à tort, nous l’avons aussi vu- à considérer comme « principal opposant » du Kremlin. En lien avec la tentative d’empoisonnement qui l’a visé à l’été 2020, c’est une vidéo postée le 21 décembre dernier qui a à nouveau défrayé la chronique de nos médias « mainstream ». Quelle est votre lecture de ce nouvel épisode de l’affaire?

Jacques BAUD: -Le 21 décembre est publiée une vidéo montrant Navalny téléphonant à l’un de ses « empoisonneurs » du FSB. La vidéo fait un « buzz », mais en réalité on ne connait pas l’identité réelle de l’interlocuteur de Navalny, et rien ne démontre qu’il soit réellement un agent du FSB. En admettant qu’il le soit, pourrait-il ainsi s’exprimer librement avec un inconnu au téléphone et donner des détails sur une opération qui serait vraisemblablement classifiée ? En admettant que cet « agent » ait été chargé de la surveillance de Navalny, n’aurait-il pas reconnu sa voix au téléphone ? etc., etc. Par ailleurs, nous avons déjà évoqué la méthodologie pour le moins discutable utilisée par Bellingcat pour identifier les agents russes : définir un profil et chercher les individus qui correspondent à ce profil, mais sans pouvoir le relier matériellement à l’action qu’on lui attribue. On pourrait entrer ici dans de très nombreux détails qui montrent que Bellingcat ne connait ni le fonctionnement, ni la structure des services de sécurité russes et que dès lors sa méthode conduit très vraisemblablement à de faux résultats. D’ailleurs, au contraire de certains médias peu scrupuleux qui relaient la théorie du complot, CNN – qui a enquêté sur place – avoue qu’elle n’a pas été en mesure de confirmer les accusations de Navalny…

Le média Meduza, a questionné quatre avocats pour savoir si la vidéo de Navalny apportait la preuve que le FSB aurait tenté de l’empoisonner. Tous s’accordent pour déclarer que même si techniquement une vidéo peut être utilisée comme preuve, que le contenu de cette vidéo peut prêter à toutes les manipulations et est très insuffisante pour prouver quoique ce soit.

Quant à Bellingcat, auquel se réfèrent régulièrement des conspirationnistes d’extrême-droite, Conspiracy Watch, Antoine Hasday, et de nombreux journaux occidentaux comme Le Temps ou la Tribune de Genève, un document interne britannique de l’Integrity Initiative (le programme d’influence du gouvernement britannique, qui finance – en partie – Bellingcat) sur la lutte contre la désinformation russe, daté de juin 2018, le juge de la manière suivante :

Bellingcat a été quelque peu discrédité, à la fois en répandant lui-même de la désinformation et en étant prêt à produire des rapports pour quiconque est prêt à payer.

Ce qui remet en perspective l’affirmation de l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID) selon laquelle « Les enquêtes de Bellingcat ne reposent pas sur des fuites ou des hacks, mais sur des informations de sources ouvertes librement disponibles », ce qui est manifestement faux, comme ici et ici. D’ailleurs, en l’occurrence, le magazine Foreign Policy affirme que Bellingcat est une forme de « prête-nom » pour la politique américaine et cite Marc Polymeropolous, ex-vice-directeur des opérations de la CIA en Europe et en Eurasie, qui déclare : « Je ne veux pas être trop dramatique, mais nous adorons ça ! »

Donc, au final, nous n’en savons rien et ceux qui prétendent savoir ou excluent d’emblée des possibilités alternatives sont soit des menteurs, soit des individus qui voient des complots partout (complotistes). Les différents rapports sur cet empoisonnement, publiés par l’hôpital de la Charité, par l’OIAC, par l’Allemagne, la Suède ou la France, sont basés sur les échantillons biomédicaux (prélèvements de sang et d’urine) et aucun ne confirme le mode d’empoisonnement, ni ne fait référence aux bouteilles ou aux sous-vêtements. L’affirmation selon laquelle il s’agirait de Novitchok est clairement abusive en l’état. Quant au lien avec les services secrets russes il est au mieux circonstanciel, et non factuel, car à ce stade, rigoureusement rien – pas même la conversation de Navalny – ne permet de lier les autorités russes à une tentative d’empoisonnement.

Dans ce contexte, on peut raisonnablement se demander si le risque politique que Navalny constitue pour le gouvernement russe est à la mesure du risque politique de tenter son élimination. C’est pourquoi, il est tout aussi raisonnable de penser que « d’autres acteurs », touchés par ses enquêtes sur la corruption – notamment dans les milieux de la criminalité organisée – pourraient avoir un intérêt existentiel à le supprimer… D’ailleurs, la Tribune de Genève, qui défend généralement des théories complotistes concernant la Russie, constate que Navalny a « des centaines d’ennemis parmi lesquels des individus déterminés ». Dès lors, pourquoi exclure toutes les hypothèses autres que celles impliquant le gouvernement russe, notamment le crime organisé ? J’aimerais bien savoir qui paie ces journalistes!..

Le problème dans ces affaires n’est pas tellement de savoir qui a tort ou qui a raison, mais le fait que des situations inexpliquées deviennent la base pour des décisions politiques. Exactement, comme le font Conspiracy Watch et le journaliste Antoine Hasday : ils créent des certitudes à partir de situations peu claires, on attribue ainsi aux gens exactement l’opposé de ce qu’ils voulaient dire ou faire initialement, donnant ainsi du crédit à la corruption des mécanismes de décision que je tente de dénoncer. C’est la définition même du complotisme. On ne lutte pas contre les tyrannies en en établissant d’autres. On ne lutte pas contre les abus en ne tolérant que les nôtres. On constate que ceux qui prétendent lutter pour la démocratie et les droits de l’Homme, ne font souvent que relayer des idées extrémistes qui radicalisent l’action au lieu de privilégier le dialogue et la diplomatie. Nous y reviendrons dans notre entretien sur la guerre de l’influence.

 

AFFAIRE NAVALNY,

QUELQUES QUESTIONS À JACQUES BAUD DANS LE CADRE DE NOS ENTRETIENS

-Jacques BAUD, dans nos entretiens dont je rappelle le lien qui renvoie à l’ensemble des sujets que nous avons abordés, il a été question de complot, de complotisme, de conspirationnisme et de guerre d’influence. Dans laquelle de ces catégories placeriez-vous la tentative d’empoisonnement qui a visé le blogueur russe Alexeï Navalny que nos médias s’obstinent à nous présenter comme « principal opposant » de Vladimir Poutine alors que de longue date, toutes celles et ceux qui savent ce qu’il en est du poids politique réel de cet homme, ne cessent de rappeler qu’il dépasse pas même les doigts d’une seule main et que, de fait, Navalny ne représente aucun « danger » pour le Kremlin. Mais il semble que le mettre en cause importe vu que, récemment encore, il a été rappelé qu’il était « dans le collimateur du Kremlin », selon RFI pour ne citer que ce site tandis que Le Monde y va aussi de sa version.

Quel est votre regard sur cette affaire et sur son traitement médiatique occidental?

Jacques BAUD: – Comme nous l’avons vu, les médias occidentaux relaient la propagande américaine. Les phénomènes inexpliqués sont presque automatiquement attribués à une cause unique et indiscutable : des « complots » ourdis par les services secrets – sous la conduite directe des dirigeants – pour éliminer les individus qui ne leur plaisent pas. En fait, c’est la définition exacte du « complotisme »

Ainsi, en août 2013, plusieurs médias francophones comme BFMTV, Atlantico ou la Tribune de Genève, et anglo-saxons, comme The Telegraph, USA Today ou CNBC répercutent la propagande de l’extrême-droite sud-coréenne et annoncent que Kim Jong-Un aurait fait fusiller sa petite amie Hyon Song-Wol… Mais cette dernière réapparait en mai 2014 à la télévision, contraignant certains à reconnaître la piteuse qualité de leur travail journalistique ! En juin 2019, le journal britannique The Mirror constatera que les rapports sur sa disparition avaient été « beaucoup exagérés » !… Ah bon ?

En mai 2015, BFMTV, Le Point, RTL et d’autres médias annoncent que Kim Jong-Un aurait fait empoisonner sa tante Kim Kyong-Hui parce qu’elle se serait opposée à la construction d’un « acquaparc » ! Pourtant, en janvier 2020, elle réapparaît en public aux côtés de Kim Jong-Un, et la BBC évoque même qu’elle aurait un nouveau rôle au sein du régime.

Durant la présidence de Donald Trump, nos médias diffusent ses mensonges et soutiennent – sans aucune analyse critique – sa politique de discorde internationale, corollaire de la doctrine de l’ « America First ». En février 2016, les médias, dont la Tribune de Genève, annoncent l’élimination du général Ri Yong-Gil, chef d’état-major de l’Armée populaire… mais il réapparaît quelques mois plus tard, au Congrès du Parti communiste … avec une promotion !

Le 31 mai 2019, la presse occidentale – comme France 24, le New York Times, Reuters et d’autres – annonce que Kim Jong-Un « aurait fait exécuter des collaborateurs » pour « se venger », dont Kim Hyok-chol (principal négociateur du sommet avec le président Trump). Mais le même jour, Kim Hyok-Chol est vu en public alors qu’il assiste à un spectacle réalisé par son épouse.

Il y a donc de « bons complotismes » (comme ceux qui attribuent des complots à la Russie, à la Chine, à l’Iran, etc.) et de « mauvais complotismes » (qui mettent en doute les attributions de complots à la Russie, etc.)

L’affaire Navalny, qui a défrayé la chronique ces derniers mois, fait partie de ce « complotisme de bon aloi », propagé par nos médias. Rappel des faits : le 20 août 2020, l’opposant russe Alexeï Navalny souffre de douleurs lors du vol qui le ramène de Tomsk à Moscou. L’avion fait alors un atterrissage d’urgence à Omsk afin de permettre son hospitalisation d’urgence. Le 22 août, à l’initiative d’une ONG allemande, Navalny est transporté en Allemagne, pour être hospitalisé à la clinique de La Charité à Berlin jusqu’à sa sortie en octobre. L’entourage de Navalny, et les médias occidentaux accusent le gouvernement russe d’avoir tenté d’empoisonner l’opposant. En décembre, Navalny met en ligne une vidéo le présentant en train de téléphoner à l’un de ses empoisonneurs avec l’assistance de l’organisation Bellingcat.

Mais qu’en est-il en réalité ? Tout d’abord, qui est Alexeï Navalny ?

Les médias de propagande occidentaux le présentent comme « chef de file » ou « leader » de l’opposition. Pourtant, comme le reconnait les Checknews du journal Libération, c’est simplement l’opposant le plus visible. On utilise le prétexte son Fond de Lutte contre la Corruption (FBK) pour le présenter comme un démocrate, mais on en est bien loin : en 2007, il est expulsé du parti de centre-droite « Yabloko » en raison de ses « activités nationalistes » à tendance racistes. Ses idées ultra-nationalistes et d’extrême-droite, l’apparentent davantage à ce que l’on appelle un « populiste » en Occident : la vidéo où il met en scène le fait d’abattre un migrant tchétchène en Russie est éloquente. D’ailleurs, c’est en drainant les votes des extrêmes de droite et de gauche – qui ne sont pas assez nombreux séparément pour participer à des élections – qu’il a mis au point le concept de « smart voting ». Ainsi, son « succès » aux municipales de Moscou en 2013, où « il » obtient 27% (et non 30%, comme le prétend Wikipédia), est, en fait, celui d’une coalition très disparate politiquement et dont les rivalités internes sont très fortes, même si les extrêmes finissent par se ressembler.

En réalité, sa popularité est faible. Un sondage effectué entre le 20 et le 26 août 2020 (juste après « l’empoisonnement ») par le Centre Levada (financé par les Américains et considéré en Russie comme « agent étranger ») montre la différence de popularité entre Vladimir Poutine et Alexeï Navalny.

sondageeffectuentrele20etle26082020

Par ailleurs, les sondages effectués par l’institut indépendant VCIOM à la fin août 2020, après la tentative «d’empoisonnement » de Navalny, montrent une légère augmentation de l’approbation de l’action du président Poutine.

institutindpendantVCIOMlafinaot2020

En fait, la popularité de Navalny dans les médias occidentaux lui nuit plus qu’elle ne le sert : les Russes tendent à y voir une marionnette de l’Occident. Par ailleurs, il faut également mentionner ici que Navalny – qui a commencé sa carrière comme « dépeceur » d’entreprises (en revendant les branches les plus lucratives et en abandonnant les autres) est sous le coup de plusieurs inculpations pour détournements de fonds et blanchiment d’argent. C’est important, car dans le cadre de ces procédures, il n’est pas habilité à quitter le territoire russe.

Cela étant, la manière dont il a été empoisonné reste un mystère.

-Justement, que disent les différentes versions qui ont été livrées de cette tentative d’empoisonnement?

Jacques BAUD: -Dans une première version, son entourage affirme qu’il a été empoisonné en buvant du thé à l’aéroport de Tomsk. Mais problème : on constate que le thé lui a été servi par un de ses proches. Son entourage évoque alors une deuxième version : un empoisonnement avec les bouteilles d’eau bues à l’hôtel. Ces bouteilles sont récupérées à l’hôtel le 20 août par l’équipe de Navalny, restée à Tomsk. Le Sun publie la vidéo en effaçant les commentaires de la femme de chambre appelant à ne rien toucher avant l’arrivée de la police, afin de cacher que la scène de crime présumée a été altérée. Dès lors, l’intégrité de la chaine de traçabilité n’est plus assurée ; ce que les partisans de la théorie du complot ne mentionneront évidemment pas. L’entourage de Navalny prétendra avoir apporté les bouteilles en Allemagne pour analyse. Mais les « scans » des bagages examinés à l’embarquement – dont les photos ont été publiées par le média privé REN TV (appartenant pour 30% au groupe RTL) – ne montrent aucune bouteille (qui aurait de toute façon été confisquée), tandis que les caméras de surveillance montrent qu’une proche de Navalny achète de l’eau dans un distributeur automatique après le contrôle des bagages. De toutes façons, selon la BBC, Navalny n’aurait rien ingurgité d’autre que son thé à l’aéroport ce matin-là. Par ailleurs, on pourrait s’étonner du fait que ces bouteilles n’aient jamais été soumises aux médecins qui soignaient Navalny à Omsk et qui auraient – théoriquement – pu aider à éclairer son traitement…

Les partisans de Navalny avancent alors une troisième version : l’empoisonnement des slips de Navalny, révélée par le très médiatisé appel de Navalny (aidé des activistes de Bellingcat), à un « agent du FSB », diffusé en boucle sur les médias occidentaux.

-Et de ce poison, qu’en sait-on exactement? Y a-t-il une part des choses à faire entre sa réalité et ce qui en est énoncé dans la majorité de nos médias?

Jacques BAUD: -Tout d’abord, je dois vous dire que comme spécialiste en armes chimiques de l’Armée, je n’avais jamais entendu parler du Novichok avant 2006, avec la publication du livre de Vil Mirzayanov, un de ses concepteurs. Et pour cause : c’est un toxique de combat qui n’a jamais été adopté par l’URSS/Russie et qui n’a été qu’un produit de la recherche soviétique dans les années 80, rapidement abandonné en raison de sa difficulté à être manipulé sur le champ de bataille. Depuis le début des années 90, les laboratoires qui l’avaient développé appartiennent à des républiques indépendantes. Mais le Novitchok a été synthétisé par certains pays occidentaux comme l’Allemagne, les États-Unis, la Tchécoslovaquie, l’Ukraine ou la Grande-Bretagne à des fins diverses.

Le Novichok a été révélé au grand public par l’affaire Skripal en 2018. C’est un toxique qui fait partie de la catégorie des toxiques innervants (également appelés « neurotoxiques » ou « nervins » dans l’armée suisse). Comme vous le savez, nos muscles se contractent grâce à l’acétylcholine (ACh) libérée dans les synapses de nos nerfs moteurs, et se relâchent grâce à l’effet d’une enzyme qui « neutralise » l’acétylcholine : l’acétylcholinestérase (AChE). Les neurotoxiques agissent en inhibant l’AChE. Autrement dit, les muscles se contractent et ne se relâchent plus : c’est une crampe généralisée, qui bloque le cœur et la respiration, provoquant la mort. Il existe plusieurs sortes de neurotoxiques : les agents G (comme le sarin), les «moins » toxiques, dont la dose létale est de l’ordre de 1mg ; les agents V (comme le VX) un peu plus toxiques, avec une dose létale de l’ordre de 0,5-0,1mg ; et les agents de type Novichok, dont la dose létale est d’environ 0,2-0,1mg. On parle donc de quantités infimes, qui peuvent tuer un individu en moins de deux minutes. Cela étant, les inhibiteurs d’AChE ne sont pas propres aux neurotoxiques de combat : on les trouve également dans les insecticides (à partir desquels ont été développé les toxiques de combat) et dans certains traitements contre des maladies neurologiques. En 2019, à la demande de la Russie, les formules de quatre agents apparentés au Novichok ont été ajoutées à la liste de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC).

-Jacques BAUD, merci de ces précisions de première importance. Dans ce sens, que pouvez-vous nous dire de ces tentatives d’empoisonnement qui ont visé les Skripal et Navalny? Sont-elles du même ordre? Et si non, en quoi différent-elles selon vous?

Jacques BAUD: -Le jeudi 20 août, à Omsk, Navalny est hospitalisé d’urgence. Ses symptômes sont très différents de ceux des Skripal en 2018. Contrairement à ce que suggère la presse occidentale (comme la RTS), le coma ne résulte pas de l’empoisonnement, mais de la décision des médecins de le mettre en coma artificiel afin de faciliter son oxygénation (selon le même principe que les malades de la CoViD-19). Compte tenu de ses symptômes, les médecins le traitent immédiatement contre un empoisonnement, mais les tests réalisés ne montreront pas de traces d’inhibiteurs d’AChE, comme le montrent les photos publiées par le média d’opposition russe Meduza, basé en Lettonie. A la demande d’une ONG allemande, et malgré son interdiction de quitter le territoire russes pour des raisons judiciaires, les autorités russes donnent leur accord pour qu’il soit traité en Allemagne. Il est transporté en avion le vendredi 21 dans l’après-midi.

Selon le New York Times, à peine Navalny arrivé en Allemagne, des agents de la CIA américaine et du MI6 britannique étaient auprès des autorités allemandes pour leur donner des détails sur les agents russes « impliqués ».

Le 24 août, dans un communiqué de presse, l’hôpital de la Charité déclare que les analyses cliniques « indiquent une intoxication par une substance du groupe des inhibiteurs de cholinestérase ». Pourtant les médecins d’Omsk n’en n’avaient pas détecté. Alors : complot ? Non, pas forcément. Comme l’explique le média d’opposition Meduza, les médecins allemands ont cherché à prouver un empoisonnement, alors que les médecins russes ont cherché la cause de la maladie. Le média constate qu’ils n’ont donc pas cherché – ni trouvé – la même chose, ce qui est cohérent.

L’Allemagne fait alors une demande d’assistance à l’OIAC, qui envoie une équipe pour prélever des échantillons de sang et d’urine à des fins d’analyse le 6 septembre.

Le 14 septembre, le gouvernement allemand publie une déclaration dans laquelle il informe qu’il a chargé des laboratoires suédois et français d’analyser des prélèvements faits sur Navalny. Il affirme que sur la base de prélèvements sur Navalny, un « laboratoire spécial » (en fait : l’Institut für Pharmakologie und Toxikologie der Bundeswehr (IPTB) de Munich) a réalisé un test toxicologique qui a fourni « la preuve irréfutable d’un agent neurotoxique chimique du groupe Novichok », confirmé par les laboratoires français et suédois.

Comme dans le cas de l’affaire Skripal, en 2018, le gouvernement allemand n’est pas en mesure d’affirmer que le toxique est d’origine russe. En 2018, Gary Aitkenhead, directeur du laboratoire de Porton-Down s’était opposé à ce que le Novichok soit attribué à la Russie, c’est pourquoi, le 12 mars, devant le Parlement, Teresa May avait dû utiliser la formulation « d’un type développé par la Russie », qui sera reprise par la suite par l’OTAN. Le 20 mars Boris Johnson mentira en affirmant qu’Aitkenhead avait confirmé l’origine russe du Novichok. Naturellement, les médias occidentaux complotistes ne reflèteront pas cette nuance, la Tribune de Genève ajoutant même un « point Godwin » en affirmant que les agents VX ont été « conçus par l’Allemagne nazie », ce qui est faux (mais vrai pour le Sarin).

Le 6 octobre, l’OIAC publie son rapport et observe :

Les biomarqueurs de l’inhibiteur de la cholinestérase trouvés dans les échantillons de sang et d’urine de M. Navalny ont des caractéristiques structurelles similaires à celles des produits chimiques toxiques appartenant aux tableaux 1.A.14 et 1.A.15, qui ont été ajoutés à l’annexe sur les produits chimiques de la Convention à la Vingt-quatrième session de la Conférence des États parties en novembre 2019. Cet inhibiteur de la cholinestérase ne figure pas dans l’annexe sur les produits chimiques de la Convention.

Le rapport conclut que Navalny « a été exposé à un produit chimique toxique agissant comme un inhibiteur de la cholinestérase ». Le biomarqueur est nommé dans la version classifiée du rapport, mais pas l’inhibiteur de la cholinestérase, qui ne figure pas sur la liste des produits considérés comme arme chimique.

Le 12 décembre 2020, le Times de Londres, suivi par le New York Post et DW, affirment que Navalny a été l’objet d’une seconde tentative d’empoisonnement « par le Kremlin » à l’hôpital d’Omsk avant son départ pour l’Allemagne. Cette accusation n’est rendue possible que parce que les proches de Navalny cachent des informations.

Car le 22 décembre, dans la revue médicale The Lancet, les médecins allemands publient leur rapport préparé par David Steindl, spécialiste des pathologies musculo-squelettiques et Kai-Uwe Eckardt, spécialiste du diabète et des greffes rénales. On y apprend alors que le vendredi 21 août, 31 heures après l’hospitalisation de Navalny, un médecin allemand est à Omsk aux côtés de Navalny, et qu’au moment de son transport « son état s’est légèrement amélioré ». Les partisans de Navalny – et les complotistes de tout poil – ont évidemment caché ce détail afin d’accuser les médecins russe de complicité « avec le pouvoir ». Ainsi, les médecins russes ont non seulement stabilisé Navalny, mais leur traitement a été efficace : les proches de Navalny et les médias ont donc menti (une fois de plus).

Quant à l’affirmation que les médecins russes « l’ont probablement gardé en Sibérie assez longtemps pour qu’on ne puisse plus déceler le poison », elle est fréquemment avancée par les complotistes (c’est-à-dire : qui voient des complots partout) d’extrême-droite, et des journalistes à l’éthique douteuse. En fait, sur le média d’opposition Meduza, un expert de l’OIAC met en doute cette accusation et affirme que les inhibiteurs de la cholinestérase se fixent sur la cholinestérase et restent ainsi dans le corps plus de trois à quatre semaines. Donc, en gardant moins de deux jours Navalny, les médecins russes n’ont pas cherché à cacher quoique ce soit, contrairement à ce qu’affirment des journalistes incultes.

-Merci, Jacques BAUD, de ces informations fort intéressantes dont la suite sera publiée dans le prochain sujet de ce blog. En attendant, je relève que vous citez en référence Meduza, le média d’opposition qui appartient à Mikhaïl Khodorkovsky, « le plus célèbre prisonnier de Russie » comme le rappelle cet article récemment paru et dans lequel est exposé le programme politique de Khodorkovsky. Cette source médiatique dont vous usez ici à plusieurs reprises est du plus grand intérêt en ceci qu’elle indique à quel point la situation politique est autrement plus complexe que celle que nous vendent nos journalistes et leurs habituels experts.

 

QUAND LES MÉDIAS IGNORENT LES FAITS ET FALSIFIENT,

SUITE DE L’ENTRETIEN AVEC JACQUES BAUD, AUTEUR DE « GOUVERNER PAR LES FAKE NEWS »

–Jacques BAUD, dans le précédent entretien paru ici-même hier, vous avez relevé combien ce que vous observiez sur le terrain en tant qu’agent du renseignement différait de ce que vous découvriez ensuite dans les médias qui en rendaient compte. Mieux encore, voici votre livre sous les feux de projecteurs médiatiques falsificateurs alors que votre travail vise, au contraire, à alerter contre la distorsion de faits avérés. Vous le savez, ce blog a souvent pointé la désinformation et c’est précisément parce que votre livre en fait désormais les frais que je tiens à ce que vous nous parliez de votre manière de travailler.

Jacques BAUD– Le problème des crises actuelles est qu’elles sont traitées de manière totalement émotionnelles, et qu’on écarte systématiquement des faits pour donner plus de résonnance à l’événement. Il en a été ainsi du terrorisme après le « 9/11 » et les attentats de 2015 en France, ainsi que du CoViD-19 : les médecins se muent stratèges, les policiers deviennent des experts en islamisme, les « indics » deviennent des « agents » des services de renseignement, etc. Comme personne ne comprend et ne cherche à comprendre la véritable nature des problèmes, on ouvre la porte à toutes les interprétations, y compris les plus fantaisistes.

Il en découle un autre problème : les interprétations qui ont le plus de traction, deviennent des vérités. Les suppositions, les extrapolations, les hypothèses deviennent des certitudes. Dans ce contexte, où les « vérités » ne sont étayées que par des convictions, on observe un comportement très protecteur des « vérités officielles ». Ce qui en déroge devient ipso facto « complotiste »,

Une partie de l’explication se trouve dans le manque de rigueur intellectuelle des journalistes et des médias. Pourtant toute l’information est là, disponible ; mais on l’ignore. Par exemple, en décembre 2019, Le Temps évoque la présence d’une unité secrète des services de renseignements militaires russes (GRU) dans les environs de Genève : l’unité « 29155 ». Elle serait composée de « vrais tueurs, spécialistes des opérations clandestines, du sabotage et, donc, des assassinats ». En réalité, le journal affabule : « 29155 » se réfère au numéro d’acheminement du courrier postal d’une unité dont l’existence se trouve depuis de nombreuses années sur un site russe consacré à l’histoire militaire du pays ; il s’agit du 161e Centre de formation du Renseignement du GRU spécialisé dans l’étude et la formation sur la technologie des armes étrangères. Ses chefs apparaissent également sur internet.

De même, lorsque le même quotidien affirme, en décembre 2018, que la Russie est derrière les manifestations des Gilets Jaunes en France afin d’y « amplifier les divisions », quels sont les faits ou éléments concrets qui permettent de l’affirmer ? Rien. On est dans des conjectures, mais qui, à force d’être répétées, tendent à devenir des faits. On ne se pose même pas la question du « pourquoi ? » : la Russie est un « méchant ». Pourtant, la Russie a-t-elle vraiment besoin de s’exposer politiquement pour amplifier les divisions en France, où l’immigration est si mal gérée, où les décisions politiques apparaissent parfois surréalistes, où l’insécurité reflète des réalités sociétales qu’on a presque délibérément ignorées durant des décennies et où la voix du peuple ne semble avoir, pour seul recours, que la manifestation pour être entendue? On pourrait voir dans ces accusations du « complotisme », car techniquement elles en ont exactement l’architecture : un assemblage de faits, en fonction d’une logique extérieure à l’événement (voire arbitraire), et que l’on voit guidé par une intelligence supérieure.

Il y a peut-être une partie de « complotisme », mais il s’agit plus probablement d’un mélange d’ignorance, d’opportunisme et de manque de déontologie. En fait, très peu de journalistes – voire pratiquement aucun en Europe – n’ont une connaissance et une compréhension de la manière dont la désinformation est pratiquée par la Russie. Et c’est le problème, les contraintes qui s’exercent sur les médias les ont poussés vers une superficialité qui ne permet plus d’aborder la complexité des crises modernes.

Afin d’éviter de tomber dans le piège facile de trouver des informations qui contredisent le discours officiel, le choix des sources de mon ouvrages s’est effectué avec une grande rigueur. Ainsi, j’ai pris des sources qui répondent au critère de « factualité » et ai systématiquement écarté celles qui étaient trop marquées politiquement à gauche ou à droite. De plus, je me suis très largement appuyé sur des rapports officiels de services de renseignement, d’organisations internationales ou de la presse traditionnelle. Evidemment, il m’a fallu prendre des exemples.. Ainsi, un journaliste de France Inter m’a reproché de me référer à « voltaire.net » et à Thierry Meyssan : en réalité il n’a lu que les notes de bas de page, mais n’a pas lu le texte, car j’ai cité ces deux sources dans des cas où je contestais leur point de vue, précisément parce qu’il n’était pas factuel !… C’est d’ailleurs exactement le même phénomène avec ConspiracyWatch, qui critique le livre sans l’avoir lu, et les journalistes qui l’approuvent… C’est la disparition d’une certaine déontologie professionnelle, qui favorise les discours complotistes.

En réalité, mes détracteurs sont eux-mêmes des promoteurs de fausses informations et de conspirations, comme nous le verrons…

L’ensemble des entretiens est sur :https://helenerichardfavre.ch/page/2/?s=Entretiens+avec+Jacques+baud

 

17 janvier 2021 par Hélène Richard-Favre-