Le projet de démembrement de la Russie

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  • jeudi août 3, 2023
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Le projet de démembrement de la Russie
LE GRAND JEU 
par Jean-Marc Bovy
Stoprussophobie reprend ici à titre exceptionnel un article tiré de Antipresse 399
Avec nos remerciements. A noter que le sujet est particulièrement important et constitue l’un des enjeux – avec le maintien du rôle universel du dollar – de la guerre que livre actuellement l’OTAN à la Russie sur le terrain ukrainien. Le démantèlement de la Russie est l’un des buts d’une partie du deep state états-uniens : pour se débarrasser d’un “élément pas sage” de par sa dimension. Car on ne peut même pas parler de concurrent ou d’adversaire avant l’opération militaire des Russes. Pour pouvoir piller à leur aise un pays qui compte 30% des matières premières mondiales, ce que Condoleeza Rice, ancienne Secrétaire d’Etat et spécialiste de la Russie (anti-Russie) trouvait être “un problème”… Cerise sure le gâteau, en s’emparant du centre de la Sibérie quasi directement, puisque leur drapeau aux couleurs modifiées pour l’instant y est prévu, les état-uniens s’installent en Eurasie et créent un sanctuaire de plus pour prendre la Chine à revers. Il s’est trouvé des “opposants” russes pour véhiculer ce projet des think tanks américano-polonais. Pendant la II guerre il y a eu des Vlassov, général soviétique brillant ayant choisi la trahison car fait prisonnier et par anti-communisme. Son exemple devrait servir à ses imitateurs d’aujourd’hui car il a été un jouet méprisé aux mains des nazis allemands. (stoprussophobie)

Ce curieux patchwork de drapeaux et d’identités n’est pas une vue d’artiste générée sous hallucinogènes. Il s’agit d’une opération officiellement soutenue par les think tanks américains, inspirée entre autres par l’incontestable «succès» du démantèlement de la Yougoslavie. Les nations nouvelles jaillissent comme des lapins d’un chapeau: voilà un exemple éclatant des miracles du «nation building» anglo-saxon.

Tokyo va prochainement accueillir le septième Forum des nations libres de PostRussie (7th Free Nations PostRussia Forum). Comme l’affiche sans complexe le site officiel du forum: «41 États indépendants, libres et prospères à la place d’un seul Empire dément, voilà notre but principal».

On aura compris que l’Empire dément — crazy Empire dans le texte — s’incarne dans la Fédération de Russie et que l’objectif est bien de le démembrer, sous prétexte de décolonisation. Suit une liste de ces nations, qui fera saliver les amateurs de toponymie exotique: «Tatarstan, République de l’Oural, Sakha, Bashkortostan, États-Unis de Sibérie, Carélie, Circassie, Ingouchie, République balte, Bouriatie, Fédération du Pacifique, Nogai El, Touva, Tchouvachie, République du Don, Fédération de Tioumen-Iougra, Komi, République de Tver, Altaï, Kouban, Fédération de la Volga, Biarmie, Iriston, République de Novgorod, Smalandie, Fédération de Zalessie, Khakassie, République de Pskov, Koumykie, Laponie, République de Tchernozemie…».

Étrangement, la liste énumère seulement 31 États sur les 41 annoncés. Sont passés sous silence des pions pourtant importants de ce nouveau damier. Ainsi la Tchétchénie et la Kalmoukie qui ont eu l’occasion d’affirmer leur identité mériteraient de figurer en bonne place parmi les nations avides d’indépendance ou d’une plus grande autonomie. Mais comme dans toute succession, il n’y a rien d’étonnant à ce que le partage de la Russie et le nouveau tracé des frontières internationales qui en découlerait ne fasse pas l’unanimité. Au point qu’une bonne partie des nouvelles nations — voire une majorité — préférerait certainement rester au sein de la Fédération plutôt que d’assumer une encombrante et problématique souveraineté. Malgré ces omissions de taille, il
faut admirer l’imagination dont les auteurs de la carte dite de Décolonisation et de Reconstruction de la Russie (ci-dessus) ont fait preuve pour couvrir l’ensemble du territoire de la Fédération et ne pas laisser de tache blanche. Des noms souvent charmeurs comme «Zalessie» ont été trouvés pour désigner la région de Moscou ou «Ingrie» pour celle de Saint-Pétersbourg. Les États-Unis
d’Amérique trouvent quant à eux une réincarnation en Sibérie sous une bannière étoilée dont seules les couleurs diffèrent de celles de l’Empire yankee. Il est pour le moins cocasse de constater que la décolonisation s’étend au colonisateur lui-même, puisque la Russie disparaît totalement de la carte, alors
que dans le même temps les USA prennent pied en Eurasie sous un drapeau à peine déguisé.

Ce septième forum sur la PostRussie (FRNF), comme les six autres qui l’ont précédé, ne serait-il qu’un bac à sable pour géopolitologues excités qui prennent leurs fantasmes pour la réalité? Hélas non. On est ici une fois de plus en présence d’une opération orchestrée par les think tanks étatsuniens pour remplacer l’outil un peu rouillé de la révolution de couleur qui s’est révélé inefficace en Russie. En soi, cette stratégie n’innove en rien, puisque les projets de dépeçage de Mère Russie sont apparus dès la débâcle de l’URSS.
Après le décrochage des anciennes républiques ex-soviétiques, qui s’est produit quasiment sans coup férir, l’étape suivante a consisté dans les années 90 à encourager les mouvements d’indépendance au sein même de la Fédération de Russie. L’ours est alors sorti de sa tanière et ce fut la longue et sanglante guerre de Tchétchénie (voir «Kadyrov, de père en fils», AP360), dont la Russie est sortie intacte et qui a suspendu pour deux décennies les menées séparatistes.

(conf presse)

  Au printemps 2022, deux mois après le lancement de l’opération Z en Ukraine, le moment semblait venu de relancer le projet de dissolution de la Russie, suivie d’une reconstruction selon les canons de la démocratie occidentale. L’opération n’était pas désintéressée et visait à affaiblir l’adversaire sur ses arrières en misant sur les mouvements d’opposition séparatistes et irrédentistes internes à la Russie. En l’absence d’une volonté de règlement pacifique, elle fournissait aussi un plan pour la reconfiguration du monde après la victoire sans compromis que l’Ukraine et l’Occident se jurent de remporter sur le camp du Mal.

La première réunion du Forum s’est tenue début mai 2022 à Varsovie. Ce n’est pas un hasard, car la principale cheville ouvrière du FRNF est un universitaire américain d’origine polonaise, Janusz Bugajski. Conseiller de think tanks actifs en l’Europe de l’Est, comme la Jamestown Foundation et le Center for Strategic and International Studies (CSIS), Bugajski a fait ses armes sur le terrain de la défunte Yougoslavie. Il a été l’un des promoteurs de l’indépendance du Kosovo et ne semble pas regretter les dégâts collatéraux qu’elle a entraînés. Son show télévisé diffusé dans les Balkans, la New Bugajski Hour, continue de lui assurer une audience dans les nations qui pensent avoir gagné à la refonte du pays, notamment au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine. Son influence et ses lettres de noblesse ne sont pas étrangères au succès du FRNF dont les sessions se sont multipliées en un an et ont pris un tour officiel, lorsque le Forum a siégé à Bruxelles et reçu l’onction d’organes européens. Dans la foulée, la Commission sur la Sécurité et la Coopération en Europe a aussi porté à son agenda «le besoin e décoloniser la Russie». Bugajski peut donc se sentir investi d’une autorité suffisante pour promouvoir au niveau de la vaste Russie l’expérience radicale de démembrement qu’il estime — contre toute évidence — avoir mise en œuvre avec succès, à une échelle réduite, dans l’ancien empire de Tito.
Autre voix venue de Pologne qui fait écho à l’initiative du FRNF, celle de l’ancien président Lech Walesa, prix Nobel de la Paix, qui exhorte les peuples colonisés par la Russie à s’émanciper, de façon à ramener à 50 millions la population de l’actuelle Fédération qui en compte 140.

L’expression «Russie, prison des peuples» forgée du temps des Tsars refait surface. Plus rares sont les influenceurs du camp occidental qui appellent à la modération et mettent en garde contre les dangers que la fin de la Russie multiethnique et multiconfessionnelle représenterait pour la sécurité dans le monde. L’historienne Marlène Laruelle, enseignante à l’Université George Washington et spécialiste du monde slave, est de ceux-là. À son avis, «toute évolution positive pour la Russie et ses pays voisins comme l’Ukraine, ainsi que le reste du monde, exigera qu’elle réinvente son fédéralisme de l’intérieur, plutôt qu’elle n’implose». Laruelle estime que «même si leurs doléances sont authentiques, les minorités ethniques de Russie ne demandent pas à faire sécession. Les enquêtes montrent que le patriotisme russien reste fort dans les républiques ethniques. On peut prétendre que ces populations se rallieraient à un mouvement d’indépendance si celui-ci se mettait en branle. Mais il est plus probable qu’une majorité continuerait de voir dans la Russie sa patrie et se contenterait de revendiquer une plus grande autonomie