Nazisme, révisionnisme et russophobie
D’une apocalypse à l’autre ?
Le 27 janvier 2020, trois datesont été célébrées, pour nous rappeler trois des plus grandes tragédies de l’histoire du 20ème siècle: chronologiquement, le 27 janvier 1944 la fin du blocus de Léningrad, aujourd’hui Saint-Pétersbourg, en Russie ; le 27 janvier 1945 la libération du camp de la mort d’Auschwitz, et cette même date du 27 janvier proclamée par l’ONU, en 2005, Journée internationale de la Shoah, en mémoire de la libération de ce camp nazi.
Le jeudi 23 janvier 2020 en Israël, plus de 40 chefs d’Etats et de gouvernements, ainsi que de nombreux invités, dont des survivants de la Shoah et du siège de Léningrad, se sont réunis à Jérusalem pour célébrer ces trois dates. Autour du premier-ministre et du président israéliens étaient présents Vladimir Poutine, le président russe, Emmanuel Macron, le président français, le vice-président américain Mike Pence, le prince Charles, représentant la Grande-Bretagne, et bien d’autres.
Le gouvernement israélien avait tenu à honorer Léningrad, qui a subi plus de 900 jours de siège des armées nazies, par l’inauguration d’une stèle à la mémoire des morts et des survivants de cette ville. Hitler avait décidé de la rayer de la carte mais, défiant l’arrogante Allemagne nazie, et offrant au monde l’exemple d’un courage au-delà de l’humain, Léningrad a continué de vivre et travailler, avant d’être libérée par l’Armée rouge le 27 janvier 1944. Au seul cimetière mémorial de Piskarevskoïé, à St. Pétersbourg, reposent les dépouilles de 480.000 personnes, tuées sous les bombardements allemands, mortes de froid, de faim, de maladies. Cela, sans compter les milliers de soldats morts au tristement célèbre front de Léningrad.
Une seule cité, neuf cents jours de siège, des centaines de milliers de morts. Chiffres effrayants. Mais plus hallucinants encore sont ces chiffres de 6 millions de Juifs exterminés dans les camps nazis, l’odieuse « solution finale » préconisée par Hitler et ses hordes de criminels nazis. Juifs, Tsiganes, Roumains, Russes, Tchèques, Français, Polonais, et tant d’autres. Torturés, gazés, mutilés, et dont si peu sont revenus vivants. Tout cela porte un nom : l’Holocauste. La Shoah. Noms que, pudiquement, les historiens ont proposé pour qualifier ce que l’on doit dénoncer très haut et très fort comme étant un GENOCIDE à vaste échelle, au nom d’une prétendue « race supérieure », un crime contre l’humanité chiffré à plus de 50 millions de morts, froidement organisé par l’Allemagne nazie et ses acolytes en Europe, dont, hélas ! le régime « français » (vraiment?) de Vichy.
Au seul camp de la mort d’Auschwitz, ou Oswięcim en Pologne, on estime à entre un million et deux millions de victimes disparues dans ce lieu sinistre, dont 80% de Juifs.
Quel rapport avec la russophobie, dira-t-on ? Qu’on en juge.
A Jérusalem, ce 23 janvier 2020, un personnage a minablement brillé par son absence: le président de la Pologne Andrzej Duda. Il avait une excuse de taille : la russophobie viscérale, honteusement à la mode en Pologne aujourd’hui. Car il faut véritablement une incommensurable dose d’indécence pour oser, alors qu’il s’agit du camp d’Auschwitz, en Pologne, ne pas assister à une cérémonie de cette importance. Le prétexte ? Le refus de siéger à côté de Vladimir Poutine. Pourquoi ? Parce que les gouvernants polonais, et les caciques du parti conservateur au pouvoir, accusent la Russie d’être, au même titre que l’Allemagne nazie, responsable du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, et notamment de l’invasion de la Pologne. Raison, sans doute, pour laquelle aucune délégation russe n’a été invitée à Auschwitz, en ce 27 janvier, aux commémorations de la libération du camp. Une libération qui est pourtant l’œuvre de l’armée soviétique, laquelle a poursuivi en libérant toute la Pologne.
Pourquoi les Polonais, et avec eux les dirigeants des républiques baltes et d’autres, se gêneraient-ils pour réécrire l’histoire, puisque le Parlement européen( !!!), rien que ça, a voté le 19 septembre 2019 une résolution qui établit clairement l’amalgame entre le régime nazi et l’Union Soviétique, l’un et l’autre étant également rendus responsables du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Les Polonais, forts de cet appui, vont encore plus loin : ils réclament des compensations financières pour préjudices causés au pays par l’Union Soviétique, pendant et après la guerre. A quoi les Russes rétorquent : à combien estimez-vous, d’une part les vies des quelque 800.000 soldats soviétiques morts pour la libération de la Pologne (voilà qui contrebat l’amalgame avec les nazis) et, d’autre part, les aides soviétiques à la reconstruction du pays après guerre ?
Présent à Jérusalem, mais sans assister à la cérémonie officielle, le président ukrainien Volodymir Zelenski a émis le prétexte qu’il préférait, les places étant restreintes, céder la sienne à des anciens détenus des camps nazis. Sous des dehors de générosité, un prétexte fallacieux, quand on sait l’importante influence politique des nationalistes et néo-nazis en Ukraine, émules de Bandera, un chef nationaliste d’une cruauté sans nom ayant commis des crimes atroces contre les populations, notamment ukrainiennes, polonaises et juives, en Ukraine occidentale pendant la guerre.
La CIA vient de lever le secret sur Bandera, en publiant un document de décembre 1951 dans lequel il est qualifié de « fasciste ukrainien et agent d’Hitler », connu sous le pseudonyme de Consul2. Voilà le personnage dont l’Ukraine actuelle, sous Porochenko – mais Zelenski n’a encore rien changé à la chose – a fait son héros national, baptisant des rues et des places de son nom.
Il y a fort à parier que le Volodymir Zelenski a choisi de ne pas siéger avec ses homologues d’autres pays, par peur de se voir reprocher, en interne, de cautionner les discours à forte teneur de mise en garde contre la résurgence du néo-nazisme et des ultranationalismes dans différents pays d’Europe, dont l’Ukraine et les pays baltes. Et il lui aurait fallu dénoncer les massacres de plus d’un million quatre cents mille Juifs en Ukraine pendant l’occupation nazie. Heureusement, Vladimir Poutine, dans son discours, s’en est chargé à sa place.
Pourquoi cette soudaine flambée de réécriture de l’histoire et de nationalisme de mauvais aloi ?
Voici, sans être exhaustif – mais cela mériterait une étude très approfondie – quelques éléments de réflexion.
1. Cette année, l’Europe et le monde vont fêter, en mai, le 75ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. Le président Poutine a lancé des invitations à venir à Moscou commémorer l’événement non seulement aux chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la coalition anti-hitlérienne, mais à beaucoup d’autres.
La Russie est en droit de faire ainsi valoir les mérites de l’Armée rouge et du peuple soviétique, qui a joué le principal rôle dans la victoire sur le nazisme. Cela est reconnu de longue date. Et cela n’honore pas les instances européennes que d’avoir publié la fameuse résolution du 19 septembre 2019 évoquée plus haut. Une falsification de l’histoire auparavant dénoncée avec force dans un article de Stop russophobie du 27 décembre 2019 particulièrement explicite. Surtout si l’on considère que les pertes soviétiques, soldats et civils, sont officiellement chiffrées à 27 millions de victimes
Nombre de chefs d’Etat, dont Emmanuel Macron, ont confirmé leur présence à Moscou en mai prochain. D’autres émettent force arguties pour ne pas venir ou encore hésiter, mêlant la Crimée, l’ « agression contre l’Ukraine », l’ intervention des forces du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie en 1968, l’ « occupation » russe des anciens pays socialistes d’Europe, l’affaire Skripal, etc. Tout prétexte est bon pour dire non à Vladimir Poutine.
2. Car tel est bien le but : faire feu de tout bois pour rabaisser la Russie. Pourquoi ? Parce qu’elle retrouve sa place de grande puissance économique et militaire sur l’échiquier géopolitique actuel. Et beaucoup de chefs d’Etat et de gouvernement, peut-être à contre-cœur, reconnaissent qu’il faut absolument coopérer avec la Russie, acteur indispensable pour résoudre les grands problèmes du monde.
Tout cela sur fond de sanctions aux effets plus que limités en Russie, et que de plus en plus nombreux sont ceux qui les dénoncent en Europe.
Alors tout est bon, pourvu que cela serve à noircir la Russie. Ainsi Alexandre Tourtchinov, récemment encore secrétaire du Conseil National de Sécurité et de Défense en Ukraine n’a-t-il pas été jusqu’à vouloir à tout prix trouver une « piste russe » dans l’accident récent du Boeing ukrainien abattu par la DCA à Téhéran ? Les autorités iraniennes ayant reconnu leur entière responsabilité dans cette tragique affaire, cette argutie ukrainienne a fini comme un pétard mouillé.
Poutine déclare, dans son message à la nation du 15 janvier dernier, un transfert de certains pouvoirs du président au Parlement, à savoir la Douma et le Conseil de la Fédération, qui auront désormais à charge de nommer le premier-ministre et les ministres ; il propose d’amender la Constitution russe pour la rendre plus adaptée aux réalités actuelles et fixer des éléments importants de politique sociale ; il renforce le rôle du Conseil d’Etat ; il accepte la restriction de l’éligibilité du président à deux mandats, et propose un référendum populaire sur ces amendements à la Constitution. Un coup de barre vers plus de démocratie et de justice sociale ? Aussitôt, la presse internationale fait chorus autour du thème : Poutine se prépare à maintenir son pouvoir à vie, après 1924. Ce qu’il a pourtant explicitement démenti à plusieurs reprises.
La Russie assimilée à l’Allemagne nazie. Un président russe dont on fait un dictateur. Un pays que l’on veut mettre au ban des nations. Dans un contexte où le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, évoquait récemment les Quatre cavaliers de l’Apocalypse des temps actuels : les tensions géostratégiques, les changements climatiques, la défiance globale et le danger des nouvelles technologies, une façon « prophétique » de nous mettre en garde, n’y a-t-il pas mieux à faire que de ressasser toujours les mêmes poncifs anti russes ?
Ce n’est pas à grands coups de russophobie que nous réussirons à relever ces défis.