Orthodoxie et russophobie
L’orthodoxie un des éléments historique de la russophobie
Russophobie et Orthodoxie – Introduction
Voici un long article en cinq parties du membre de notre association Marc Barnovi qui fait le point sur l’élément religieux des courants russophobes en Occident. A l’heure du schisme organisé en Ukraine par les Oligarques locaux et les maîtres de Washington, ces rappels historiques dans notre rubrique sur le révisionnisme peuvent être bien utiles.
Marc Barnovi
Traducteur littéraire, spécialiste des relations internationales et de la Russie-Eurasie
Vit à cheval sur la France et la Russie depuis plus de vingt ans
Contact : contact@stoprussophobie.info
La russophobie atteint aujourd’hui un sommet en Occident, y compris en France. La russophobie y atteint d’ailleurs régulièrement ses sommets, à différentes époques. Elle est un motif que l’on retrouve au fondement de la guerre psychologique et informationnelle que l’Occident mène contre la Russie. Cette guerre ne date pas d’aujourd’hui, loin de là, mais se fonde maintenant principalement sur une désinformation absolument grossière autant que dénuée de fondement (que nous rapporte stoprussophobie.info), la Russie n’étant plus ni autocrate (période tsariste), ni communiste, mais bien capitaliste et libérale, à sa façon. L’Occident ou, plus précisément, l’Euro-Amérique, crée une Russie ennemie qui lui est nécessaire pour exister. La guerre psychologique et informationnelle est un pan important des stratagèmes mis en œuvre pour asseoir une hégémonie occidentale mondiale à laquelle la Russie est, toujours et encore, le principal obstacle. L’Occident ne peut dicter par les armes à Moscou la vision ethnocentrique qu’il a du monde.
Dans les quatre articles de notre série « Russophobie et Orthodoxie », nous ne revenons pas sur les dossiers de plus en plus psychédéliques montés et diffusés à grand fracas par les « Défenseurs du Monde Libre » tels que « l’affaire Skripal » ou encore « l’utilisation des armes chimiques en Syrie » et autres sujets dangereux autant pour le cerveau du citoyen que pour la paix dans le monde. Nous traitons de la guerre menée actuellement contre l’Eglise orthodoxe, sujet complexe, profond, à propos de la pensée, des sentiments et de la vie de millions de personnes, principalement au regard de l’histoire et des relations internationales, sujet faisant appel aux catégories de l’espace et du temps. Il commence tout juste à apparaître des articles portant sur la question en France (cf. Figaro des 10 et 11 octobre et Le Monde du 12 octobre 2018). L’initiative est bonne mais la confusion règne, complexité du sujet et directives bruxelloises (OTAN et UE) aidant, d’où notre choix de vous proposer la série « Russophobie et Orthodoxie » pour vous donner la possibilité de vous y retrouver.
Ainsi, nos « Défenseurs du Monde Libre » mènent un travail de fond afin de scinder les liens traditionnels existant jusque-là entre la Russie et d’autres pays, en premier lieu européens, et de faire en sorte que la Russie se désintègre à terme depuis l’intérieur. L’Eglise orthodoxe et, plus spécifiquement, l’Eglise orthodoxe russe, est notamment visée. Il ne s’agit pas, dans notre dossier, de défendre ou de juger une version de la foi chrétienne au profit d’une autre mais de mieux comprendre les pensées et les politiques mises en œuvre dans l’espace de la spiritualité et du psychisme.
Comme l’exprimait au début des années 1990 le « gourou » de la géopolitique américaine « moderne », Zbigniew Brzezisnki1, « (…) Après l’effondrement du communisme, notre adversaire principal est l’orthodoxie russe ».
Plus récemment, Carl Bildt, alors en fonction en tant que Ministre des Affaires Etrangères suédois, soutenait que « l’orthodoxie (était) le danger principal pour la civilisation occidentale… La nouvelle ligne anti-occidentale et anti-décadente de Poutine s’appuie sur les idées orthodoxes profondément conservatrices ».
En 1991, l’URSS disparue, des millions de personnes se sont retrouvées sans points de repère identitaires. L’orthodoxie a été le principal pilier permettant à la population de reconstituer son propre système identitaire existentiel. L’Occident, « vainqueur de la guerre froide », avait remarqué que le projet orthodoxe était un fondement idéologique et patriotique russe très profond, voire un projet messianique, et le principal intégrateur de toute la Russie (au côté de la langue russe). L’Occident, dans son projet hégémonique, s’est donné pour objectif de désintégrer, autant que faire se peut, ce socle profondément ancré qui veut rassembler au moins les religions monothéistes traditionnelles.
A travers quatre articles, nous allons voir que, depuis le schisme dans l’Eglise chrétienne survenu en 1054 entre Catholiques et Orthodoxes, deux civilisations, deux systèmes de pensée et de ressentis, l’Occident et la Russie, s’affrontent continuellement, quand bien même ils ne semblent pas si éloignés que cela l’un de l’autre. Nous finirons notre étude par l’analyse des dernières informations concernant l’attaque de l’unique Eglise Orthodoxe Ukrainienne canonique dépendante du Patriarcat de Moscou. Comme le rêvait Brzezinski, l’intégrité de la Russie pourrait être mise en danger à partir de l’Ukraine en jouant avec l’esprit des hommes en place. On rappellera que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont les précurseurs depuis au moins la fin du XIXème siècle de la manipulation des esprits et de l’aliénation de l’homme (sous couvert d’une démocratie consumériste rentable).
Pour vous aider à comprendre la situation, nous vous proposons les quatre articles suivants :
Russophobie et Orthodoxie (1) : Petit rappel de l’histoire du christianisme : le schisme Occident – Orient
Russophobie et Orthodoxie (2) : Le stratagème occidental de la scission du monde orthodoxe en Europe
Russophobie et Orthodoxie (3) : Le baptême de la Russie
Russophobie et Orthodoxie (4) : L’unité de l’Eglise orthodoxe canonique russe et ukrainienne remise en question
Ils ne se veulent évidemment pas exhaustifs, le sujet traité étant si complexe, mais ils tentent de vous fournir les éléments essentiels afin que vous puissiez vous forger à partir d’un matériel crédible votre propre opinion.
1 : Zbigniew Brzezinski : (1928-2017) Politologue américain d’origine polonaise. A été conseiller à la sécurité nationale du Président des Etats-Unis Jimmy Carter de 1977 à 1981 et est resté très influent pour la politique étrangère des Etats-Unis jusque sa mort. Un trait constant des thèses qu’il pouvait avancer était son désir maniaque d’anéantir la Russie.
En se référant à ses thèses, il est relativement aisé de suivre aujourd’hui les faits et objectifs de la politique internationale que mènent les Etats-Unis particulièrement vis-à-vis de la Russie. Nous recommandons la lecture de :
Zbigniew BRZEZINSKI, The Grand Chessboard. American primacy and its geostrategic imperatives (Le Grand Echiquier), 1997, ainsi que de The Choice : Global Domination and Global leadership (Le Vrai Choix), 2004
Orthodoxie et russophobie (1)
Petit rappel de l’histoire du christianisme : le schisme Occident-Orient
A l’origine, le christianisme est une religion unifiée sur le continent européen à partir de Rome. Aux IVème et Vème siècles, l’empire romain chrétien est en grande difficulté. Il doit faire face à des attaques et invasions répétitives des peuples francs germaniques et des Huns. En 330, l’empereur Constantin décide de développer un second centre de l’Empire en plus de Rome à Constantinople (l’actuelle Istamboul en Turquie). Au même moment, l’un des Pères de l’Eglise chrétienne occidentale, Saint-Augustin (ou Augustin d’Hippone – 354-430), développait et faisait se diffuser une théologie propre au monde latin, différente de celle suivie par les Chrétiens du monde gréco-byzantin.
A la chute de Rome en 476, Constantinople devient le seul centre de l’Empire romain chrétien. Dans l’historiographie occidentale, il est appelé « Empire byzantin » ou bien encore « Empire romain oriental » alors que l’Empire est toujours unique et unifié. Il s’agit en fait de dissocier dans l’historiographie les destins différents que connaîtront par la suite l’Empire romain d’Occident, revendiqué comme la matrice de l’Europe occidentale, et l’Empire romain d’Orient, la matrice gréco-byzantine qui est nommée en Rous kiévienne (aujourd’hui la Russie) « le Royaume des Grecs » et qui a pour capitale « Tsargrad » (la Ville des Empereurs).
Au IXème siècle, les Francs, depuis Charlemagne, aspirent à reconstituer l’Empire romain chrétien sur le territoire du nouvel empire franc sous l’égide de la papauté romaine, faisant ainsi fi de l’Empire romain chrétien de Constantinople. En 962, au couronnement d’Othon Ier à Rome est créé le « Saint-Empire Romain Germanique », le Ier Reich. Il va dès lors se démarquer de « l’Empire byzantin » en réécrivant l’histoire et en instituant une nouvelle liturgie chrétienne avec le Filioque1 contre l’avis des évêques latins favorables aux Byzantins et aux traditions de l’Eglise chrétienne originelle.
« Au fil du temps, les sentiments religieux chez les Chrétiens d’Occident et les Chrétiens d’Orient devinrent si différents qu’en 1054, le Patriarche de Constantinople et le Pape de Rome se jetèrent réciproquement l’anathème, s’exclurent mutuellement de l’Eglise et cessèrent de considérer l’autre chrétien.
Le schisme dans l’Eglise chrétienne, créant une église occidentale et une église orientale vient, au premier abord, d’un désaccord théologique absolument abstrait, portant sur l’interprétation de la Trinité : Dieu le Père, Dieu le Fils et le Saint-Esprit. Dans la Trinité occidentale, le Saint-Esprit émane de Dieu le Père et de Dieu le Fils alors que dans la Trinité orientale, il émane seulement de Dieu le Père, à travers Dieu le Fils. Le Filioque n’est pas admis.»2
En d’autres termes et pour simplifier, en Occident, Dieu est en l’homme alors qu’en Orient, Dieu reste extérieur à l’homme. La relation intime qu’a l’homme avec Dieu et avec lui-même est totalement différente dans chaque cas. Cette différence se retrouve en théologie, dans l’architecture, les rites religieux comme dans la vie quotidienne. L’appréciation de la vie et de l’univers est fondamentalement différente. La figure de l’homme en tant qu’incarnation de Dieu a toujours été une figure occidentale. Cette représentation de « l’homme déifié » poursuit l’homme occidental depuis l’Antiquité et ne s’est pas éteinte avec le christianisme.
Il apparait ainsi que les Chrétiens d’Occident et les Chrétiens d’Orient se sont mis à croire en un Dieu différent. La légitimité d’une Eglise chrétienne entraînait immanquablement l’illégitimité et l’hérésie de l’autre.
En 1204, Constantinople est assiégée puis conquise par les Chrétiens occidentaux avec le soutien de la riche République de Venise (épisode de la 4ème Croisade) jusqu’en 1261. Le glaive accompagne la foi chrétienne occidentale. Ensuite, assiégée par les Vénitiens, les Wisigoths et les Ostrogoths et, finalement, par les Ottomans musulmans, Constantinople chute en 1453. Elle remet le destin du christianisme orthodoxe à Moscou, dite « la Troisième Rome ».
L’Europe occidentale suivait son cours et donnait naissance à une nouvelle façon de vivre et d’appréhender la vie avec l’essor du capitalisme individualiste que le protestantisme au XVIème siècle et, plus particulièrement, la théologie calviniste1, venaient d’une certaine façon institutionaliser.
On peut rencontrer dans certains textes l’année 1686 qui serait celle du rattachement de l’Eglise orthodoxe ukrainienne canonique, par sa demande, à l’Eglise orthodoxe russe. En fait, cette date reprend « le Traité de Paix Eternelle » signé entre l’Empire russe et le Grand-Duché polono-lituanien, alliance temporaire d’Etats catholiques cherchant à s’octroyer tout ou partie de l’Empire russe orthodoxe. L’Ukraine n’existe pas en tant qu’Etat. Cette région reste le berceau de la civilisation russe et est convoitée par de nombreux empires et prédateurs (les Mongols, les Polonais et les Lituaniens, les Turcs ottomans, les Russes). Il ne pouvait exister alors d’Eglise orthodoxe ukrainienne. La région d’Ukraine, principalement l’Ouest (régions anciennement habsbourgeoises ou polonaises), tente d’exister en tant qu’Etat indépendant dans la période trouble de 1918 à 1920. Finalement l’Ukraine est incorporée en 1922 à l’URSS naissante en tant que République, s’agrandit en 1945 et donnera 70 ans plus tard naissance à l’Etat actuel de l’Ukraine indépendante (1991) qui reste le berceau de la Russie et de l’Eglise orthodoxe russe, d’où vient l’unité des territoires orthodoxes canoniques russe et ukrainien.
La rivalité entre l’Eglise chrétienne orthodoxe et l’Eglise chrétienne catholique (et protestante) est toujours actuelle au XXIème siècle. Chacune de ces églises a formé un espace mental particulier. Néanmoins, cette rivalité depuis la fin du XIXème siècle a pris une autre forme. En 1885, Nietzsche constatait que Dieu en Occident était mort (Ainsi parlait Zarathoustra) et que l’Occident retrouvait ses convictions antiques païennes de l’homme libre d’être omnipotent, voire libre de se considérer surhomme (néo-antiquité).
Aujourd’hui « l’Occident déchristianisé » veut porter ses « valeurs laïques » au monde entier. Cet Occident n’est qu’en partie déchristianisé. Nous retrouvons, en effet, régulièrement dans les propos tenus, par exemple, par les différents Présidents américains les termes de « peuple élu », de « la Nouvelle Israël », « d’exceptionnalisme » pour caractériser le messianisme des Etats-Unis. Fait obstacle à ce projet le monde orthodoxe ,en premier lieu russe, resté unifié et attaché au christianisme originel.
1 : Filioque : terme latin ajouté au Credo par l’Eglise catholique romaine pour signifier que le Saint-Esprit ne procède pas du Père, mais du Père et du Fils. L’origine du filioque dans le Credo vient en grande partie de la théologie développée par Saint-Augustin.
2 : Sergueï GLUZMAN, L’espace mental russe, Aleteïa, Saint-Pétersbourg, 2010
3 : Calvinisme : de Jean Calvin (1509-1564), théologien français, pasteur emblématique de la Réforme protestante du XVIème siècle. Il aura élaboré une doctrine théologique protestante menant à une approche de la vie chrétienne nouvelle, avec un esprit capitaliste.
Orthodoxie et russophobie (2)
Le stratagème occidental de la scission du monde orthodoxe en Europe
La guerre psychologique et informationnelle menée contre l’orthodoxie et son unité associe des opérations frontales et un travail de fond de plus long terme dans le temps et l’espace.
Dans le temps, on s’attache à briser le canevas de l’orthodoxie unifiée. On invente pour cela des mythes sensés désavouer l’Eglise orthodoxe dans le passé et le présent que les médias et hommes politiques occidentaux les plus divers aiment à rapporter régulièrement.
Ainsi :
« Byzance est une zone périphérique ; (…) l’Eglise orthodoxe a soutenu les khans de la Horde d’Or ; la christianisation des peuples de la Volga, du Nord et de la Sibérie a été forcée; (…) la préférence est accordée à la population orthodoxe en Russie (…). De manière globale, ces mythes recouvrent toute l’histoire de l’orthodoxie.»1
Il n’est pas rare que soit aujourd’hui employée par des dits spécialistes l’expression de «fondamentalisme orthodoxe», comme le fait le fameux Brzezinski, mettant par-là au même niveau l’orthodoxie et le terrorisme djihadiste se référant à l’islam. Les consciences sont manipulées. Une guerre hybride, par les mots, est menée pour discréditer l’orthodoxie.
Dans l’espace, l’Occident, les pays anglo-saxons en tête, cherche à scinder le monde orthodoxe. Ceci est un trait de sa politique internationale. Si la Grèce et Chypre sont intégrés depuis longtemps à l’Occident (OTAN, Union Européenne-UE), ces pays sont rejoints après 1991 et la fin du Pacte de Varsovie par la Bulgarie et la Roumanie (adhésions : OTAN en 2004, UE en2007).
Bombardée illégalement par « les Forces de l’Atlantique » en 1999, la Serbie reste attachée à son amitié avec la Russie. Elle pense néanmoins, à terme, pouvoir incorporer l’UE si celle-ci existe alors encore, au moins sous sa forme actuelle. Le problème du Kosovo2 est primordial pour l’évolution de la situation. A ce jour, la Russie, la Chine, Israël et l’Inde ne reconnaissent pas cet « Etat » autoproclamé par « le clan atlantiste ». Le Monténégro a initié le processus d’adhésion à l’UE et vient d’entrer dans l’OTAN en juin 2017. La Macédoine (ex-République yougoslave de Macédoine) est candidate à l’UE et à l’OTAN mais le processus d’adhésion est pour le moment bloqué car un litige avec la Grèce portant sur la dénomination du pays l’en empêche3.
Le processus de désintégration (du monde orthodoxe) / intégration (aux structures centrales du monde occidental – OTAN, UE) va s’étendre à la fin des années 2000 aux anciennes républiques de l’URSS de confession ou à majorité orthodoxe, la Moldavie et la Géorgie. Ces deux territoires sont stratégiquement importants pour la cohérence de l’espace d’influence russe en Europe orientale et pour l’avancée de l’influence occidentale vers cet espace. La Moldavie ne peut encore entrer dans l’UE, ni dans l’OTAN avant tout du fait de la question territoriale de la Transnistrie4. La guerre de Géorgie de 2008 (cinq jours) provoquée par la partie géorgienne sous influence américaine pour récupérer l’Ossétie du Sud5 qui désire être intégrée à la Russie a mis provisoirement un terme au processus de stricte séparation voulue par l’Occident des pays de Transcaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) de la Russie. Le Bélarus reste, pour ainsi dire, intégré à la Fédération de Russie.
Aujourd’hui, en 2018, l’orthodoxie est attaquée en Ukraine6 de manière directe, sachant que l’Occident (les Etats-Unis) influence les pouvoirs en place afin de modifier l’organisation religieuse du pays depuis au moins la fin de l’URSS. Encore une fois, désintégrer l’Ukraine est pour les Occidentaux la porte d’entrée à la Russie unifiée qu’il faut démembrer.
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L’avancée des « forces démocratiques libérales » occidentales, avec en particulier l’appui de l’UE et de l’OTAN qui travaillent de concert, se poursuit dans l’espace et le temps sur le continent européen, aujourd’hui parallèlement à la formation d’un espace eurasiatique sous l’égide de la Russie et de la Chine.
L’intégration aux structures occidentales des pays d’Europe centrale et orientale orthodoxes, anciens membres du Pacte de Varsovie paraît parfaitement légitime et raisonnable au regard de l’histoire et de la volonté des populations concernées.
Il en va tout autrement dès lors que le projet de désintégration touche les anciennes républiques orthodoxes ou à majorité orthodoxe de l’ex-URSS. En s’attaquant à l’Ukraine et à l’orthodoxie en Ukraine, le mouvement occidental suit les préconisations du maître-consultant Brzezinski afin d’attenter efficacement, à terme, à l’intégrité de la Russie, car dernier obstacle à l’hégémonie planétaire occidentale, en sapant l’un de ses moteurs intégrateurs les plus importants.
Dès aujourd’hui, nous pouvons remarquer que « l’avancée démocratique occidentale » séculière fait l’objet d’un accroissement de contestations chez des désillusionnés européens, ce qui pourrait, à terme, remettre en cause les fondations plastiques actuelles du monde occidental (UE, OTAN…) permettant depuis 1991 d’aider à engloutir le monde orthodoxe qui ne suit pas (seulement) le Dieu Dollar. Le Dollar n’est qu’un outil et non le sens donné à la vie.
1 : Vardan BAGDASSARIAN, Russie-Occident, une guerre civilisationnelle, La Pensée Scientifique, Moscou, 2018
2 : Le Kosovo, ou région du Kosovo-Metohija, est considéré comme le berceau de la Serbie orthodoxe. Elle a été peuplée au fil du temps par les Albanais musulmans voisins qui forment aujourd’hui la majorité de la population. A la suite de l’attaque par l’OTAN de la Serbie en 1999 ; elle a été mise unilatéralement sous administration de l’ONU. Elle est reconnue pays indépendant par une partie de la communauté internationale. La Macédoine est également concernée par le problème du « peuplement forcé » par les Albanais.
3 : Un referendum populaire a été organisé le 30 septembre 2018. Etait proposé le nom de « République de Macédoine du Nord » en accord avec la Grèce pour pouvoir accéder à l’UE et à l’OTAN. Le Président Ivanov a déclaré boycotter ce referendum devant le dictat des forces occidentales. Le « oui » pour le nouveau nom a remporté 90% des voix mais la participation au vote a été de 36,91% des inscrits, ce qui ne permet pas de valider le referendum pour lequel il faut avoir obtenu au moins le vote de 50% + 1 voix des inscrits. Les discussions sont en cours. Le Premier Ministre macédonien, Zoran Zaev, soutenu par des voix occidentales, est pour ce nouveau nom.
4 : Transnistrie (ou République Moldave du Dniepr) : Depuis la dislocation de l’URSS en 1991, enclave russe entre la Moldavie et l’Ukraine. L’armée russe est en place. Etat non reconnu par la communauté internationale.
5 : Ossétie du Sud : région de Géorgie qui fait sécession en 1992, non reconnue par la communauté internationale. Avec l’Ossétie du Nord en territoire russe, elle forme une région ou république autonome ossète voulant être intégrée à la Fédération de Russie.
6 : Le terrain ukrainien est intensément travaillé par l’Occident contre la Russie et le monde russophone au moins depuis 2004, lorsque Viktor Iouchtchenko était Président ukrainien et a organisé la révolution orange. Il a été quelque peu acheté par les Etats-Unis et soutenu par Victoria Nuland, diplomate américaine qui a elle-même annoncé fièrement que le coup d’Etat de Maïdan avait intérêt à réussir car 6 milliards de Dollars avaient été investis pour se faire.
Orthodoxie et russophobie (3)
Le Patriarche de Toutes les Russies Cyrille (à droite) accompagné du Patriarche de l’Ukraine Onuphre (à gauche)
Le baptême de la Russie (alors la Rous kiévienne)
La Russie qui « a adopté la foi chrétienne byzantine et non le christianisme papal romain, qui s’est tournée dès le début vers l’Orient, s’est mise à construire une civilisation différente de la civilisation occidentale»1. Depuis lors, à travers l’histoire jusqu’aujourd’hui, elle présente une alternative aux canons de développement occidentaux en s’attachant en premier lieu au salut de l’humanité et non au désir de puissance.
En 2018, l’Occident continue de mener la guerre pour arriver à dominer le Heartland (l’Eurasie), appliquant consciencieusement les théories géopolitiques de Halford Mackinder du début du XXème siècle reprises par Brzezinski dans les années 1990. Ces théories ont pour objectif de soumettre l’Eurasie, masse terrestre la plus importante de la planète, aux puissances maritimes, Etats-Unis en tête, ceci pour une domination planétaire totale.
Aujourd’hui, tous les moyens sont employés pour rompre l’unité et les possibles partenariats entre l’Ukraine et la Russie : moyens militaires et politiques (guerre du Donbass, appât de l’adhésion aux structures occidentales), économiques et financiers (sanctions) et, bien sûr, psychologiques et informationnelles (guerre des médias, enseignement réformé, interdiction de la langue russe, discours politiques…) où le facteur religieux est très important. L’offensive contre l’unité de l’orthodoxie canonique intégratrice des peuples russe et ukrainien est lancée2.
Les évènements ci-après, relatés régulièrement sur les sites de Russia Today et SputnikNews, les ennemis de la désinformation et de la manipulation occidentales, commencent à être évoqués dans la « grande presse française » depuis le 10 octobre.
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Cet été, le 28 juillet, l’Eglise orthodoxe fêtait l’anniversaire du baptême de la Russie. Il s’agit d’un évènement majeur commémorant une histoire vieille de 1030 ans. Cet anniversaire est fêté particulièrement en Ukraine, en Russie et en Bélarus. Le silence est quasi-complet sur l’évènement en Occident3.
En 988, le prince Vladimir baptise ce qui constitue alors la Russie à partir de Kiev en adoptant le christianisme représenté à ce moment par Constantinople. L’évènement est important car il marque le début de l’édification de la Russie en tant que pays unifié puis en tant qu’Etat. L’unité russe se forme dans le même temps qu’apparaît en Russie (en Rous) l’alphabet glagolitique, qui donnera l’alphabet cyrillique, fondement à l’écriture en Russie. L’alphabet a été transmis par les apôtres byzantins Cyrille et Méthode au IXème siècle et diffusé ensuite sous Vladimir sur les terres russes. Le peuple peut s’unifier autour d’une religion et d’une écriture communes. La naissance de l’Etat russe correspond à son baptême.
« (…) En entrant dans la sphère d’influence spirituelle et culturelle de Constantinople, la Russie s’affirme chrétienne, bien sûr, mais elle commence aussi à affirmer son « orientalité » contre un Occident catholique, déjà perçu comme assujetti à l’autorité pontificale de Rome. »4
Le siège métropolitain de l’Eglise Orthodoxe Russe, d’abord édifié à Kiev, sera ensuite transféré en 1299 à Vladimir puis, en 1328, à Moscou, lieu « sûr » depuis l’invasion par les Mongols jusqu’en 1480 des terres kiéviennes. La Russie va se consolider et se développer dès lors à partir de la Moscovie avec, pour « marqueur identitaire », le christianisme orthodoxe. Par la suite, la Russie va prendre son indépendance du patriarcat de Constantinople qui a été conquise par les Ottomans musulmans en 1453. En 1589, Boris Godounov5 crée le patriarcat de Moscou.
« Dans ce pays dépourvu de limites naturelles, sur cette vaste plaine matrice de la terre russe, (…) seule l’orthodoxie a permis de conserver l’unité de cette « terre russe » sacralisée par les représentations collectives qui se sont imposées au fil des générations. »6
En 2018, la commémoration du baptême de la Russie a rassemblé le 28 juillet en Ukraine 80 000 personnes, avant tout des pèlerins qui ont entamé une procession religieuse depuis l’Ouest et l’Est de l’Ukraine pour rejoindre à pieds Kiev. Depuis le coup d’Etat de Maïdan en 2014, les nationalistes extrémistes ukrainiens organisent des provocations le long du parcours. Cette année, le Maire de Kiev, le boxeur Vitali Klitchko, a demandé à empêcher le rassemblement des pèlerins. Malgré tout, les fidèles se sont retrouvés à Kiev après trois semaines de procession et ont commémoré l’évènement au sein de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou.
Il faut savoir qu’à la suite de Maïdan, le gouvernement ukrainien s’est encadré de personnes le plus souvent sans lien avec l’Eglise orthodoxe qui est pourtant suivie majoritairement par la population. Il en va ainsi d’Alexandre Tourtchinov, depuis décembre 2014 Secrétaire du Conseil de Défense et de Sécurité Nationale, qui est baptiste pentecôtiste. Arseni Iatséniouk, Premier-Ministre post-Maïdan de 2014 à 2016, est, quant à lui, scientologue. Katerina Iouchtchenko, Tchoumatchenko de son nom de jeune fille, née aux Etats-Unis, la femme de l’ancien Président ukrainien initiateur de la révolution orange en Ukraine en 2004, Viktor Iouchtchenko, ainsi qu’Oleg Tiagnibok, chef d’un mouvement nationaliste ukrainien très dur et dirigeant du parti « Liberté » (Svoboda), indiquent tous deux adhérer à la foi néopaïenne RUN7. Dmitri Iaroch, célèbre néonazi ukrainien, se dit Uniate8. Petro Porochenko se dit soudainement chrétien orthodoxe et suit très logiquement la pseudo-église du patriarcat de Kiev de M. Dénissenko.
Cet anniversaire semble marquer le début concret d’une guerre de religion.
1 : Sergueï GLUZMAN, L’espace mental russe, Aleteïa, Saint-Pétersbourg, 2010
2 : On peut comparer dans une certaine mesure ce qui se passe actuellement en Ukraine avec ce qui a été provoqué en Serbie avec le Kosovo déclaré unilatéralement Etat indépendant sous administration de l’ONU en 2008. La région du Kosovo (ou du Kosovo-Metohija) est autant le berceau de la Serbie que l’Ukraine l’est pour la Russie.
3 : La Rous kiévienne est la plus ancienne entité politique commune à l’histoire des trois États slaves orientaux modernes que sont la Russie, l’Ukraine et le Bélarus.
4 : Le moteur Google reprend l’évènement (textes, films et images), mais seulement la commémoration par l’église orthodoxe non-canonique (du patriarcat de Kiev) ayant rassemblé tout au plus quelque 2 000 personnes.
5 : Marie-Pierre REY, La Russie face à l’Europe, Flammarion, coll. Champs Histoire, 2016, p.18
6 : Boris Godounov : en 1589, il est régent du Tsar Fiodor Ier puis se fera élire Tsar en 1598. Il règnera jusqu’en 1605.
7 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Eglise_orthodoxe_russe
8 : Foi-RUN (Foi Nationale Ukrainienne Autochtone) : mouvement néopaïen crée en 1966 au sein de la diaspora ukrainienne aux Etats-Unis et au Canada. Son siège social est à Spring Glen (Etat de New-York). Il s’agit du drapeau idéologique du nouveau nationalisme ukrainien pouvant équivaloir au paganisme aryen en Allemagne nazie.
9 : Uniates : se dit des Chrétiens des églises orientales qui acceptent les dogmes du catholicisme tout en conservant leur liturgie et leur organisation
Orthodoxie et russophobie (4)
Eglise orthodoxe en Ukraine
L’unité de l’Eglise orthodoxe canonique russe et ukrainienne remise en question
La guerre contre l’Eglise orthodoxe ukrainienne canonique est déclarée. En 2018, les autorités ukrainiennes post-Maïdan ont décidé de préparer un schisme au sein de l’orthodoxie qui serait, en fait, une deuxième étape de la guerre civile menée actuellement contre le Donbass1. Il transformerait cette guerre civile déjà criminelle en véritable cauchemar. Comme Petro Porochenko l’a décrié, « Nous allons gagner la guerre en Ukraine. Pendant que nos enfants iront à l’école, les Ukrainiens du Donbass se cacheront dans les abris ».
1- L’organisation de la foi orthodoxe en Ukraine2
Il existe aujourd’hui trois églises orthodoxes en Ukraine ou, pour être plus précis et respectueux de la vérité, une Eglise orthodoxe et deux organisations se proclamant églises orthodoxes.
Il y a, d’une part, l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne du Patriarcat de Moscou (EOU-PM), seule Eglise orthodoxe canonique2 dirigée par le métropolite Onuphre (Berezovsky) de Kiev. Celui-ci occupe la deuxième place en termes d’influence au sein du patriarcat après le Patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Cyrille. Moscou et Kiev, depuis le baptême de la Russie, ne forment qu’un seul territoire canonique reconnu par toutes les églises orthodoxes territoriales dans le monde. Cette église a le soutien de la majorité de la population orthodoxe ukrainienne4. Elle est l’unique structure religieuse à réellement travailler au rétablissement de la paix sociale en Ukraine dans le cadre du coup d’Etat de Maïdan et du conflit avec le Donbass.
Les deux autres organisations, non-canoniques, sont l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev (EOU-PK) et l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne Autocéphale (EOUA).
La première est dirigée par le métropolite Philarète, Monsieur Dénissenko, souvent qualifié de « curé défroqué et dérangé » et de carriériste. Il s’est autoproclamé métropolite de Kiev en 1992 et a été excommunié en 1997 par Moscou. Philarète Dénissenko est « le petit protégé » des nationalistes ukrainiens et du gouvernement. Il n’a pas du tout digéré la nomination de Cyrille au lieu de lui en Russie.
On peut rapporter certains de ses propos fort habituels marquant son haut degré de religiosité, par exemple sur le Donbass : « Nous ne devons pas croire que la population du Donbass est innocente. Elle est coupable ! Et elle doit expier sa faute par le tourment et le sang ! »3. Il appelle à ce que le peuple ukrainien du Donbass se noie dans son propre sang. Ses paroles sont évangéliques !
La seconde structure orthodoxe non-canonique a pour dirigeant le métropolite Macaire depuis 2015, également excommunié par l’Eglise orthodoxe russe. Cette organisation a été créée en 1920 et agit avant tout dans l’Ouest de l’Ukraine et à l’étranger auprès de la diaspora ukrainienne, en premier lieu aux Etats-Unis et au Canada.
Avant les élections présidentielles prévues au printemps 2019, Petro Porochenko a décidé de promouvoir un schisme dans l’Eglise orthodoxe et une guerre religieuse qui pourrait le maintenir par force au poste de Président. Il impose que l’armée et l’église soient les forces d’une Ukraine indépendante !
2- L’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe ukrainienne en question
Petro Porochenko s’annonce défenseur de l’autocéphalie d’une unique Eglise orthodoxe ukrainienne qui rassemblerait les trois organisations auparavant mentionnées, forçant la séparation avec la Russie. En 2018, il a multiplié les visites auprès du Patriarche de l’Eglise orthodoxe de Constantinople (Istamboul, Turquie), Bartholomée Ier, pour réorganiser l’Eglise orthodoxe ukrainienne sous son égide. Le patriarche de l’Eglise canonique, Onuphre, est évidemment totalement opposé à cette autocéphalie qui ne serait que brigandage.
Bartholomée occupe une place importante dans le monde orthodoxe car il représente l’église à l’origine de cette foi chrétienne, l’Eglise orthodoxe œcuménique. Il occupe donc la place du souvenir, une place honorifique qui ne peut équivaloir à la place qu’occupe le patriarcat de Moscou dans le monde orthodoxe en termes d’influence. Outre sa résidence à Istamboul dans le quartier du Phanar, il a autorité sur des diocèses orthodoxes notamment aux Etats-Unis et au Canada. Depuis plus de vingt ans, il est sous influence des Etats-Unis et rêve de retrouver la grandeur originelle du patriarcat d’avant 1453, ce à partir du quartier du Phanar. « Virtualité et vanité de la grandeur », peut-on penser.
Il faut savoir que l’orthodoxie dans le monde représente une communauté de 15 églises territoriales indépendantes les unes des autres et égales en droit. A la différence de l’Eglise catholique qui connaît une hiérarchie stricte à la tête de laquelle se tient le Pape de Rome, l’Eglise orthodoxe ne reconnaît que le principe de préséance par lequel un patriarche peut avoir plus d’influence qu’un autre. Le Patriarche de Constantinople n’a pas le droit stricto sensu de reconnaître autocéphale une église ne dépendant pas directement de son patriarcat. En outre, l’Eglise canonique russe est aujourd’hui la plus influente dans le monde orthodoxe. Il tente d’utiliser la « fameuse » date de 1686 absolument vide de signification en droit comme dans les faits.
Au mois d’avril 2018, Bartholomée dit lancer une procédure qui permettra d’établir l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe ukrainienne unifiée avec les églises non-canoniques. Il s’agit d’une décision strictement politique et d’une rupture dangereuse avec l’EOR-PM. En effet, Bartholomée aimerait représenter « la papauté orientale » sur le modèle de la papauté romaine. A Rome, le Pape est à la fois évêque suprême de l’Eglise catholique et également souverain séculier de l’Etat du Vatican, propriétaire des richesses qui lui incombent. Le divin et le politique se combinent. En devenant « le Pape oriental » tout puissant, pro-occidental, Bartholomée veut se donner les prérogatives pour accaparer les richesses de l’EOU-PM au bénéfice de la « nouvelle église orthodoxe ukrainienne » unifiée. Il se présente comme le « patriarche libéral » prenant ses distances du patriarche orthodoxe canonique traditionnel de Moscou. Comme l’indique Rostislav Ichtchenko5, « (…) En satisfaisant les souhaits de Porochenko et des Etats-Unis, Bartholomée et le patriarcat de Constantinople sortiraient des cadres établis du monde orthodoxe en le transformant en une église sectaire de type américain comme il en existe des centaines là-bas, où toute personne qui le désire peut, sans grande difficulté, faire enregistrer un « patriarcat » ou toute autre organisation et s’occuper du business s’y afférant en vendant une pseudo-chrétienté aux personnes naïves. »6
Imaginons-nous le prêtre catholique d’Andorre s’autoproclamer « véritable Pape-Gourou Catholique » – VPGC ! et décider un beau jour d’accorder à l’église catholique française le droit de rompre avec Rome, voire de l’y pousser pour bien être reconnu gourou. Cette petite nouveauté serait évidemment parfaitement appréciée, notamment en France.
3- L’actualité de la situation
La situation est aujourd’hui explosive et évolue rapidement. Les hommes musclés néo-nazis ukrainiens, bras-droit des pseudo-églises et du gouvernement, commettent de plus en plus d’agressions contre les églises orthodoxes du patriarcat originel de Moscou. Le 17 septembre, Petro Porochenko recevait à Kiev les deux exarques7 nommés par Bartholomée pour gérer le processus d’autocéphalie sur le terrain. Ces exarques viennent des Etats-Unis et du Canada. Onuphre, le Patriarche de l’EOU-PM canonique, ne veut pas les rencontrer car ne reconnaît pas ces pièces importées. Il a, de ce fait, été répertorié auprès des pouvoirs de Kiev comme « agent d’influence du Patriarcat de Moscou ». Le 22 septembre, le Ministère de la Culture ukrainien donnait l’ordre de faire l’inventaire de l’EOU-PM en commençant par la région de Soumy entre Kiev et Kharkov. Le 2 octobre, le Patriarche Cyrille de Moscou appelait les 15 églises orthodoxes territoriales canoniques à se réunir pour étudier le problème. Aucune d’entre elles ne reconnaît les pseudo-églises ukrainiennes. Des représentants du Ministère des Affaires Etrangères ukrainien ont rencontré le Pape romain le 26 septembre. Il s’agissait d’une action de lobbying pour faire accepter les pseudo-églises ukrainiennes par la « communauté internationale ». Le Pape dit ne reconnaître que la légalité du territoire canonique de l’Eglise Orthodoxe Russe comprenant l’Ukraine et ne pas avoir le droit de se mêler des affaires internes au monde orthodoxe. Le 11 octobre, le Patriarche de l’Eglise de Constantinople, Bartholomée, se croyant déjà « Pape oriental », s’est octroyé le droit de rétracter l’anathème pesant sur Philarète Dénissenko (en même temps que celui lancé sur Macaire, tant qu’à faire !) qui se voit parfaitement, lui, diriger les églises orthodoxes ukrainiennes non-canoniques sans rapport avec Moscou.
Les gouvernements occidentaux restent très silencieux sur cette affaire. Ils voient effectivement l’opportunité d’exacerber une crise ecclésiastique en Ukraine confrontant les patriarches de Moscou et de Constantinople. Cela ne peut que saper un soft power géopolitique russe important et nettement séparer la Russie de l’Ukraine. Aujourd’hui, l’Occident n’est pas en mesure de pouvoir affronter militairement la Russie. L’Euro-Amérique joue dès lors avec le domaine spirituel qui est important en Russie et dans le monde orthodoxe à côté des domaines plus matériels (sanctions économiques et financières) qui ne semblent pas avoir les effets escomptés sur le monde russe.
Pour reprendre Ichtchenko, « tout cela peut aller très loin car Porochenko n’a rien à perdre. La question est de savoir s’il va risquer de déclencher une guerre religieuse ou pas. »8 Il semble l’avoir déclenché. Comme l’indiquait Maria Zakharova9, les petits jeux malsains orchestrés toujours par les mêmes pourraient mener à une guerre civile infernale, voire à la disparition de l’Ukraine, au moins dans sa configuration actuelle.
1 : Donbass : région de l’Est de l’Ukraine limitrophe de la Russie rassemblant les régions administratives de Donetsk et de Lougansk qui refusent de reconnaître la légitimité des autorités de Kiev après le coup d’Etat de Maïdan. Région peuplée surtout d’Ukrainiens russophones. Kiev a décidé de combattre cette région (guerre civile). Région économiquement et industriellement développée.
Plus largement, le Donbass est une partie de la « Novorossia », vieux terme géographique repris après le coup d’Etat de Maïdan pour désigner une zone géographique en Ukraine avant tout russophone regroupant les régions de : Donetsk, Lougansk, Kharkov, Kherson, Nikolaïev, Odessa, correspondant à un territoire partie de l’Empire russe jusqu’à la Révolution de 1917.
2 : canonique : qui est conforme aux règles (de l’église orthodoxe, pour notre cas)
3 : http://theduran.com/major-patriarch-of-constantinople-supports-ukrainian-orthodox-church-of-moscow-patriarchate
4 : l’Ukraine compte 35 millions de croyants orthodoxes dont 80% sont tournés vers l’Eglise canonique du patriarcat de Moscou.
5 : Rostislav Ichtchenko : politologue russo-ukrainien, Président du Centre d’Analyse Systémique et de Prévision à Moscou.
6 : http://ukraina.ru/opinion/20180727/1020709571.html
7 : Les exarques nommés par Bartholomé sont : l’archevêque de Pamphylie Daniil des Etats-Unis et l’évêque Hilarion d’Edmonton au Canada.
8 : sputniknews.com
9 : Maria Zakharova : Directrice de l’information et de la presse du Ministère des Affaires Etrangères russe.
Russophobie et Orthodoxie – Conclusion
Nous avons vu que l’Etat russe naissait au moment de son baptême et de l’adoption de la foi chrétienne gréco-byzantine. Il se démarquait dès lors d’une Europe occidentale qui promouvait une foi chrétienne différente. Ces différences mèneront au schisme dans l’Eglise chrétienne entre une Eglise catholique occidentale et une Eglise orthodoxe orientale. Plus encore qu’une différence théologique, le schisme démarquait deux espaces mentaux différents et l’antagonisme entre deux civilisations (« la légitimité d’une Eglise chrétienne entraînait immanquablement l’illégitimité et l’hérésie de l’autre ») qui allait prendre différentes formes au fil des siècles jusqu’aujourd’hui. La russophobie, composante essentielle de la guerre psychologique et informationnelle menée par l’Euro-Amérique contre la Russie, a des racines très anciennes et très profondes.
Depuis l’avènement du Saint-Empire romain germanique au Xème siècle, « l’Occident » réunit le religieux et le politique pour conquérir toujours plus de terres. Et oui, grâce au filioque, l’homme est un Dieu ! Il peut tout se permettre. Aujourd’hui, l’aspect ou, mieux, le prétexte religieux de l’expansion occidentale (nommée dans nos articles le « projet d’hégémonie globale »), continue de dicter les politiques internationales menées par l’Euro-Amérique. Le Dieu chrétien occidental exporté par les Croisés est remplacé par le Dieu Dollar1, dieu néo-antique recréant l’infinité de l’incommensurable par des chiffres comptables très païens, totem édifié originellement par les pays anglo-saxons protestants (Pays-Bas, Grande-Bretagne), voire dicté aujourd’hui sous la gouverne d’institutions technocratiques olympiennes telles que le FMI ou la Banque Mondiale.
Les Croisés du Dollar sont aujourd’hui en Ukraine après un périple de 27 ans. Ils ont placé en 2014 quelques marionnettes néopaïennes et néo-fascistes à la tête du gouvernement et se retrouvent confrontés directement au peuple ukrainien du Donbass, russophone, qui refuse le coup d’Etat et les politiques menées afférentes. Les Croisés du Dollar, comme à leur habitude, tentent de semer le chaos afin de pouvoir régner sur une zone fragilisée. L’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe ukrainienne ! Quelle bonne idée ! En effet, il est évident que dans cette région, les Croisés ne pourront s’imposer par le glaive pour enfin démembrer la Russie, leur objectif ultime dans le cadre du projet d’hégémonie globale. L’espace psychologique et spirituel est un terrain adéquat pour briser l’unité russe de l’intérieur. Par habitude, l’Euro-Amérique réécrit l’histoire qui doit correspondre à son projet d’hégémonie globale (cf. par exemple les récits sur la 2nde Guerre mondiale). Adopter universellement cette réécriture serait tout simplement apocalyptique, car mensongère au profit d’une entité qui ferme les yeux sur elle-même, d’une entité s’abandonnant à l’imagination de son hyperpuissance. L’image n’est pas la chose.
Parallèlement à nos férus Croisés, la Russie, également comme à son habitude, cherche, comme elle cherchait en 1917. Elle est témoin comme tout un chacun que le système libéral capitaliste n’apporte pas de solution pour le salut de l’humanité. Pour chercher et peut-être trouver, elle doit être libre, indépendante de la secte globalisante du Dollar. A force de penser, elle pourrait proposer une une nouvelle forme de développement de l’humanité alternative de celle de nos libéraux. Comme l’on dit en russe, « tout est possible si l’on réfléchit ! » (/Golova vsio mojet/). La Russie, que l’Occident « progressiste » qualifie avec dédain de pays conservateur, pourrait être la source de nouveaux paradigmes pour l’humanité peut-être très attendus. On peut s’arrêter sur l’exemple donné par le concept chinois soutenu par la Russie et son espace géographique des « Nouvelles routes de la Soie », projet dont les caractéristiques n’entrent pas, apparemment, dans la vision du monde scientiste euro-américaine.
Toute cette histoire nous rappelle celle de Jack Nicholson dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou », la Russie venant remplacer Jack. Elle refuse de suivre un règlement inhumain et l’usine de la lobotomisation qui va avec, qu’on veut lui imposer de force. Elle est amie avec ceux que l’on qualifie de malades. Mais à la différence de Jack, la Russie peut se protéger de l’opération fatale sur l’esprit, la lobotomisation, et continuer d’indiquer au monde que la Vérité n’appartient pas à un corps ou à une nation, voire de lui montrer quel nouveau chemin emprunter … pour le salut de l’homme et non pour monter sur un piédestal.
Il ne s’agit pas ici de réaction nationaliste face au mouvement globalisant, seulement de la volonté d’exister d’un Etat-nation souverain qui veut être respecté et respecter dans le concert des nations.
Pouvons-nous rêver ? L’histoire nous montrera…
1 : « In God We Trust ! ». Ce Dieu semble avoir amorcé sa perdition en tant que Dieu universel tout puissant devant la « dédollarisation » qui prend de l’ampleur aujourd’hui. Il se pourrait que le Dollar finisse jeté dans les rivières.
Marc Barnovi
Traducteur littéraire, spécialiste des relations internationales et de la Russie-Eurasie
Vit à cheval sur la France et la Russie depuis plus de vingt ans