Serebriannikov un artiste hâtivement baptisé opposant
L’affaire du metteur en scène de théâtre Serebrennikov exigerait plus de nuances des médias russophobes
Le metteur en scène et directeur de théâtre russe Kiril Serebrennikov connait depuis quelques mois des misères judiciaires sous l’accussation de malversations de fonds publics. Une bonne partie du Moscou artistique et culturel s’est immédiatement et inconditionnellement portée à son secours, en accusant l’Etat de s’en prendre à un “opposant”. Evidemment, nos publications bien pensantes aussi. Oubliant un peu vite par là même que l’homme de théâtre et de cinéma avait bénéficié de très généreuses subventions de l’Etat et de la ville de Moscou ! C’est du reste pour l’utilisation contestée de ces fonds qu’il est poursuivi. On se gardera bien de juger du fond de l’affaire mais on peut tout de même nuancer le propos du soutien incoinditionnel à l’artiste et rappeler qu’il ne suffit pas créer des scandales ou de jouer de la nudité des acteurs et de simulations d’actes sexuels pour être “un opposant”. Surtout quand ces manifestations artistiques se font avec des fonds publics ! Que par ailleurs la gestion de ces aides publiques est partout et en Russie autant, voire plus qu’ailleurs, un calvaire, nul n’en doute. D’ici à hurler à la dictature… Voici un papier d’une des membres du comité contre la haine et pour la paix en Europe qui publie stoprussophobie qui apporte un éclairage différent et complémentaire à ce qui nous est imposé d’entendre sans nuance.
Si vous êtes un lecteur assidu de la presse papier française, vous connaissez à présent un certain Kirill Serebrennikov: Un «grand metteur en scène», «l’icône de la culture russe»1.Vous ne le connaissiez sûrement pas auparavant! Mais depuis quelques jours on vous a appris que c’était un opposant politique de Vladimir Poutine, injustement poursuivi et arrêté par ce “régime inhumain”.
Si vous êtes attentif et curieux, vous vous demandez probablement pourquoi cet «opposant politique» a été si longtemps directeur d’un théâtre connu ayant pignon sur rue, le «Gogol-centre», un théâtre qui appartient à l’état et est financé par l’état! (Pauvre Gogol!) Serebrennikov a même un poste de fonctionnaire d’état ! Il serait donc, pour tout média bien pensant et aligné, un inféodé au « régime ». Par ailleurs, cela ne l’a pas empêché de fonder plusieurs compagnies privés: L’association «7ème studio», le fond «Territoria» (entre 2007-10 le fond commercial «Territoria» a reçu 46 millions de roubles du budget national), lesquelles ont régulièrement fournies des prestations au théâtre «Gogol-centre» 2 .
Ainsi, plusieurs fois Kirill Serebrennikov, fonctionnaire d’état, passe de nombreuses commandes à ce même Kirill Serbrennikov, le fondateur des compagnies privés. Avec quel argent ce conflit d’intérêt manifeste (et c’est un euphémisme) a-t-il été assouvi ? La grande surprise est là : Cet «opposant» a été financé pendant des années par le Ministère de la Culture Russe et le Département culturel de Moscou. S’il n’était pas dans les petits papiers du microcosme libertaire français on aurait pu l’appeler, comme on le fait si facilement pour d’autres, un « proche de Poutine » (ce qui n’est bien sûr pas vraiment le cas).
Je me permets donc de le répéter : Kirill Serebrennikov n’a jamais été un opposant au Kremlin tant qu’il n’avait pas besoin de le devenir en un jour pour se tirer d’affaire, comme c’est devenu l’usage avec tous les présumés escrocs chics inculpés en Russie et appelant l’Europe éclairée à leur secours. Il est vrai que par le passé il avait lancé quelques phrases dans une interview pour soutenir les « Pussy Riot » 3 et qu’il avait probablement porté un insigne « je suis un géorgien» durant quelques jours, lors de conflit entre la Russie et la Géorgie.
Mais cela s’explique facilement par le fait qu’à ces moments là il avait été régulièrement invité pour des festivals d’avant-garde en Europe. Il lui fallait donc correspondre aux exigences pour être vu en « bon russe démocrate ». Depuis sa nomination au poste de directeur du théâtre Gogol à Moscou, il fut ouvertement le protégé, voire la créature de Sergei Kapkov, le chef du département de la culture de Moscou. Le beau monde moscovite insiste sur le fait qu’entre 2009 et 2015 Serebrennikov était aussi protégé directement par Vladislav Sourkov, le chef de l’administration du président4!
Ces années là il a avait bien été financé5 par le pouvoir russe au plus haut niveau, y compris pour son festival «Territoria» à Perm (où il a réalisé le spectacle après d’un roman de Sourkov «Okolonoul’a»), pour le projet «Requevium», et enfin le projet, dont il est question aujourd’hui, et qui est actuellement sous enquête judiciaire : «Platforma». Le but annoncé de ce projet: La popularisation de l’avant-garde. Un financement d’état jusqu’à 200 millions de roubles a été perçu à ce titre entre 2011 et 2014. Parmi ces 200 millions, 68 millions constituent le chef d’accusation contre Kirill Serebrennikov.
Il faut rappeler que le Gogol-centre fut déjà au centre d’un scandale financier en avril 2015, lorsqu’il avait été considéré comme endetté d’une somme de plus de 80 millions roubles sans aucune raison valable. Ces dettes avaient ensuite été couvertes par des moyens personnels de Kirill Serebrennikov et des fonds accumulés par des collègues sans aucune suite en justice. Au même moment, l’ancien directeur financier Alexei Malobrodski avait quitté son poste. Il est, lui aussi, parmi les accusés dans le cadre de l’affaire.
Le plus important témoignage a été porté par la comptable du théâtre, Nina Maslaeva6, qui avait déjà été accusée pour détournement de fonds en 2009 dans un théâtre provincial. Elle déclare avoir accompli les exigences de ses chefs — Kirill Serebrennikov et Alexei Malobrodski – pour fausser des rapports annuels. L’investigation a mis en évidence des traces de nombreuses compagnies éphémères ayant appartenu à un certain Valeriy Sinel’nikov — l’ancienne connaissance de Nina Maslova. C’est d’ailleurs par là que l’investigation fut commencée. Au début et pendant plusieurs mois, Kirill Serebrennikov n’a eu qu’un statut de témoin. Ce n’est qu’après qu’il fut impliqué pour s’être constitué cette sorte de portefeuille personnel, soi disant pour financer à gauche à droite quelques « grands artistes », si ce n’est lui-même.
On peut supposer que la poursuite pour des manquements au paiement de l’impôt entre ensuite dans la logique des choses. Serebrennikov lui-même possède un appartement inabordable au centre de Moscou et un appartement à Berlin, acheté en 2012, sans que les frais engagés puissent cadrer avec ses revenus officiels. Il a y encore quelques personnes poursuivies dans le cadre de cette affaire financière, y compris Sophia Apfelbaum laquelle était jusqu’en 2015 à la tête du département d’état du soutien de l’art et de la culture populaire du Ministère de la culture russe. C’est elle qui avait signé des contrats de subvention pour ce projet «Platforma».
Selon une communication officielle, le ministère des Affaires Étrangères français déclare espérer que la justice effectue son travail… On sent comme un sous-entendu… On a bien entendu droit dans notre presse à un récapitulatif exhaustif des protestations d’artistes et des lettres de soutien de collègues. Connaissent-ils tous celui qu’ils soutiennent ou s’agit-il d’une mode à laquelle on ne peut déroger si on veut faire partie du milieu « people » ?
On ne sait pas d’avance si Kirill Serebrennikov a été un voleur d’argent budgétaire ou simplement un artiste sans responsabilité qui a obtenu un poste qui en exigeait beaucoup. C’est au tribunal de juger et non aux journalistes français et aux clubs d’activistes. Ce qu’on peut au moins espérer c’est que la Russie puisse facilement trouver un meilleur placement pour ses subventions ! Laissons Kirill Serebrennikov aux soutiens financiers de ses amateurs et qu’ils le financent de leur propre poche, que ce soit l’homme d’état comme le fameux Sourkov ou l’homme de la finance comme le milliardaire Mikhail Prokhorov.
Serebrennikov aime aller à Berlin parce que, selon ses propres dires, dans un pays dont on ne connait pas la langue on peut mieux réflechir. Mais sans parler de l’Allemagne, il a sûrement compris qu’il faut respecter des lois dans cette capitale, je suis sûre de cela ! Pourquoi pas en Russie?
Tatiana
1http://www.lefigaro.fr/cinema
/2017/08/22/03002-20170822ARTF IG00162-kirill-serebrennikov- icone-de-la-culture-russe- arrete-a-saint-petersbourg.php