Totalitarisme et antisémitisme : quelques mises au point
Le correspondant de guerre et écrivain Vassili Grossman à Stalingrad
Voici un article du journaliste belge Jean-MParie Chauvier qui remet en place les pratiques médiatiques actuelles (en l’espèce un documentaire sur Arte) visant la Russie pour l’accuser insidueusement d’antisémitisme et de totalitarisme sous couvert d’assimilation du nazisme et du stalinisme.
Un des thèmes développé activement par la russophobie aujourd’hui. Qui a pour conséquence notamment d’avoir une vision déformée de l’histoire qui est préjudiciable à nous-même. L’une des conséquences de la russophobie.
GUERRE, ANTISEMITISME ET GENOCIDE NAZI EN URSS
l’œuvre de Vassili Grossman en question(s)
Les polémiques autour de la Deuxième Guerre Mondiale ne désarment pas.
L’Ukraine, la Pologne sont les principaux théâtres du pugilat intellectuel et symbolique, mais les médias occidentaux ne sont pas de reste !
Or, il ne s’agit que très peu d’un réveil de passions historiographiques ou de renouveau fondamental des connaissances.
Rétrospectivement, on voit bien se dessiner depuis la fin de l’URSS une volonté de remise en question des « mythes soviétiques » – Octobre 1917 et la « Victoire sur le fascisme » en 1945.
Si la condamnation du bolchévisme de 1917 et de Lénine fait largement consensus ( en Occident cela va de soi y compris au sein de la gauche et des « communistes revenus de tout », et dans une moindre mesure en Russie, où « la révolution » est au cœur d’une crise identitaire), la guerre et la Victoire, par contre, relèvent d’une nouvelle « guerre des mémoires » opposant la plupart des Russes, des Ukrainiens de l’Est et d’autres ex-Soviétiques, aux Ukrainiens gagnés par un nationalisme radical au pouvoir depuis 2014, aux Baltes, aux Polonais et à d’autres Européens qui ont eu à subir la domination soviétique après 1945.
Le « révisionnisme » antisoviétique est activement soutenu aux Etats-Unis et dans les pays de l’OTAN. Sans doute n’est-ce pas entièrement neuf : dès la fin de la « Coalition anti-hitlérienne » en 1945, l’alliance des démocraties occidentales avec l’URSS a été jugée « contre-nature », bon nombre de nazis et de leurs collaborateurs ont été « exfiltrés » vers les Amériques ou recyclés dans les officines allemandes et atlantistes de la guerre froide.
Ce qui est vraiment nouveau, c’est qu’avec la disparition de l’URSS et des partis communistes, le « front antifasciste » s’est disloqué et, sous couvert de confondre nazisme et stalinisme en tant que « totalitarismes jumeaux », la mémoire de la « Grande Guerre Patriotique » toujours cultivée en Russie se trouve elle-même disqualifiée.
On ne doit pas s’y tromper : c’est la Russie actuelle, et non seulement l’ancienne URSS, qui est vouée au discrédit. Les télévisions, les radios et la presse écrite multiplient depuis quelques années les productions orientées dans ce sens, dans l’esprit d’une « nouvelle guerre froide ».
ARTE a diffusé ce mardi 24 janvier 2018 un documentaire sur et autour de l’ œuvre de l’écrivain soviétique Vassili Grossman. Plus précisément du roman « Vie et Destin » où l’écrivain-correspondant de guerre de « L’Etoile Rouge », quotidien de l’Armée Rouge, envoyé sur le front antinazi, découvre les horreurs perpétrées par les envahisseurs envers les populations civiles, notamment juives. On retient surtout de lui, désormais, le témoin de la Shoah, à propos de laquelle il était « presque interdit » (termes employés dans l’émission) de parler en URSS. Les images, très impressionnantes et assez peu connues (chez nous) des exterminations en territoire soviétique occupé et les textes, bouleversants, de Vassili Grossman, en font un documentaire exceptionnel.
Reconnaissons aux réalisateurs (et à l’écrivain) le mérite de nous donner à voir et à penser ce qui fut, au cours de l’été et du début de l’automne 1941 (avant la conférence de Wannsee) le réel commencement du judéocide.
De « l’ordre des commissaires » de Heydrich, appelant à abattre commissaires de l’Armée rouge, communistes et partisans, les Einsatzgruppen (groupes de tuerie mobile) appuyés par la Wehrmacht (dont la célèbre Sixième armée battue à Stalingrad) les envahisseurs de l’URSS passent en effet, dès juillet-août 1941, à l’extermination de populations juives et tsiganes entières – hommes, femmes, vieillards, enfants – tout en liquidant par la faim et les fusillades quelque deux millions (en huit mois) de prisonniers soviétiques, parqués sans nourriture dans des espaces à ciel ouvert (été puis hiver) ou emmenés dans des « marches de la mort » où les récalcitrants et les malades sont abattus à la mitrailleuse.
De la « Shoah par balles » (comme on dit aujourd’hui), on connaît très mal chez nous les haut lieux : Kamenets-Podol’skii (en ukrainien : Kamianets-Podilskyi)
Babi Yar (Kiev), Berditchev ( Berditchiv en ukrainien, ville natale de Grossman), Maly Trostenets (Minsk), pogromes de Riga (Lettonie) et Kaunas (Lituanie), Jedwabne (Pologne), Lwoiw et Ternapol (Galicie ukrainienne) et autres ghettos. Moins connus encore sont les lieux de martyre – « petits » camps d’extermination et villages incendiés – de populations civiles biélorusses, polonaises, ukrainiennes et russes, massacrées avec le concours actif d’auxiliaires SS et policiers (Schutzmannshaften) issus des mouvements nationaux-fascistes baltes et ukrainiens. Sait-on du reste (on ne le rappelle pas) que les régions ex-polonaises de Galicie orientale, bastion du nationalisme radical ukrainien, où les pogromes se sont déchaînés dès fin juin 1941, sont aujourd’hui les nouveaux lieux d’élection des partis et mouvements d’extrême-droite dont les commandos jouèrent un rôle décisif dans l’assaut du 20 février 2014 à Maïdan ? Sait-on que c’est également là, en Galicie et dans la région voisine de Volhynie que sont nées, en 1943, les formations ukrainiennes radicales qui procédèrent au « génocide du peuple polonais de Volhynie», thème de friction actuel entre Varsovie et Kiev ?
Le principal mérite du documentaire est de nous rappeler cette histoire méconnue (et pourtant explorée de longue date par les historiens, notamment allemands) : l’anéantissement du peuple juif du « Yiddishland », en Europe orientale. Sans pourtant nous éclairer sur les enjeux de cette guerre et de ces massacres, qui étaient pourtant clairs aux yeux de Grossman.
Mais qui rappelle, de nos jours, le Generalplan Ost élaboré à Berlin par des équipes interdisciplinaires des plus qualifiées, prévoyant la colonisation des territoires occupés par des « aryens » et la déportation au-delà de l’Oural de trente à cinquante millions de Slaves ? Le maréchal Goering, Alfred Rosenberg et Joseph Goebbels avaient précisé qu’environ trente millions de Soviétiques périraient au cours de cette conquête, stoppée (et le génocide avec elle) par les victoires de l’Armée Rouge d’abord à Moscou début 1941 ensuite et surtout à Stalingrad fin 1941-début 1943.
Mais le contenu idéologique du film est très éloigné de cette vision des enjeux et de la réalité de la guerre. Les commentaires et les propos des intervenants français traduisent la volonté très explicite d’assimiler nazisme et stalinisme. C’est fait d’une telle façon que cette émission d’ARTE vient en appui d’une présentation de plus en plus répandue en Europe d’une guerre où il n’y eut pas qu’un seul « mauvais » mais deux : l’Allemagne nazie et l’URSS, même si les sacrifices humains côté soviétique (en partie imputables à Staline) ne doivent pas être oubliés. La théorie en vogue des « totalitarismes jumeaux » aboutit à une interprétation de la victoire soviétique à Stalingrad très éloignée de ce qu’en avaient dit à l’époque les Alliés occidentaux. Un exemple nous en a été donné par un historien belge convoqué au JT de la RTBF, le 2 février 2018, pour l’anniversaire de Stalingrad : cette bataille aurait été le « sommet de la violence (…) de deux totalitarismes qui étaient prêts à aller jusqu’à la destruction de leurs propres forces, jusqu’à l’absurde ». On mesure…l’absurdité de ce propos, au regard des déclarations d’époque des grands Alliés de l’URSS, Churchill, Roosevelt et de Gaulle, autant que des travaux d’historiens qui, depuis lors, n’ont cessé de voir en Stalingrad « le tournant » de la guerre. Faut-ils préciser que la Sixième armée de la Wehrmacht, battue à Stalingrad, fut impliquée dans le fameux massacre de Babi Yar, à Kiev les 29 et 30 septembre 1941 ?
Quelques remarques.
D’abord factuelles. Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg, deux grands écrivains juifs soviétiques, ont été, sauf erreur, les premiers à révéler au monde (dans la presse soviétique) le génocide nazi, y compris l’’extermination des Juifs. Leurs récits ont été publiés (et non interdits) dans leurs reportages du front puis, début 1944, en tant que fragments du futur « Livre noir » annoncé par Ehrenbourg, dont la première partie parut en 1946 en Roumanie, avant que la publication en russe ne fut bloquée en 1948…jusqu’à être édité en Israël en 1980 et en Russie en 1993.
Il faut d’ailleurs rappeler que Grossman et Ehrenbourg « faisaient équipe » parmi les correspondants envoyés sur le front par la presse soviétique, et dont les papiers s’arrachaient dans les tranchées, de même que la chronique en vers du poète Alexandre Tvardovski, « Vassili Tiorkine ». Le « Vie et Destin » de Grossman avait d’ailleurs une première partie, intitulée « Pour une juste cause », un titre qui reflétait bien la vision de l’écrivain mais qui, sans doute, « ferait désordre » dans le message qu’est censé en recevoir de nos jours le public occidental.
D’autres écrivains ont évoqué cette guerre et ce génocide sous de multiples aspects : Simonov, Cholokhov, Bykov, Adamovitch, Granine etc… La plupart ne sont pas ou plus publiés en francophonie.
L’extermination des Juifs a été mentionnée dans plusieurs ouvrages parus en URSS. Le très officiel démographe Boris Urlanis écrit, dans un ouvrage publié en 1972 : « On estime à 11 ou 12 millions le nombre de civils tués par les nazis. Les Juifs ont subi les épreuves les plus atroces. Hitler s’était proposé de « résoudre » le problème juif par une extermination totale des populations d’origine juive. Environ 6 millions de Juifs sont morts par la faute des nazis, soit à peu près les trois quarts de la population juive d’Europe… » Urlanis, se référant au procès de Nüremberg, ajoute même une exagération d’origine soviétique, signalant « 4 millions de morts » à Auschwitz.
Le premier film de fiction évoquant les massacres fut également soviétique : « Les insoumis » de Marc Donskoï (1945). Il est vrai qu’il n’y en a plus eu d’autre avant longtemps. Les films et documentaires sur la guerre, tout autant ignorés chez nous, sont innombrables. Aucun pays n’en a fait autant. Ils sont certes de qualités inégales et différents d’une période à l’autre. Dans l’immédiat après-guerre la production est dominée par l’exaltation de la Victoire et le culte de Staline. C’est au milieu des années cinquante qu’une nouvelle vague porte le regard, et l’émotion, sur la guerre « vue d’en bas », par les soldats du rang et les civils. Mais la littérature déjà, et dès les débuts de la guerre les chansons les plus populaires, qui avaient souvent des auteurs et compositeurs juifs, évoquaient la tristesse des départs et des absences, les amours brisées, « la victoire en larmes », la « maison incendiée ». Plus tard, dans les années 1960-80, les cinémas et le théâtre soviétiques ont abordé des sujets jusque là tabouisés : la lutte des partisans et la collaboration, « la guerre n’a pas visage de femme », les exterminations de villageois accusés de complicité avec les partisans, tous aspects jugés « trop sombres » par les adeptes d’une vision héroïsante du combat.
Parmi les atrocités nazies évoquées, et rarement signalées en Occident, il y a les villages brûlés avec leurs habitants en Biélorussie et l’extermination par la faim et les fusillades des prisonniers de guerre soviétiques – sur ce dernier thème du reste, une mission de « témoins » de la Croix Rouge suisse interdite d’en parler à son retour a fait l’objet d’un documentaire, suisse, que n’ont guère diffusé les télévisions occidentales.
Par ailleurs, en Ukraine, depuis la victoire des forces nationalistes en 2014, une nouvelle génération de livres et de films propose une autre vision de la guerre : celle des forces nationalistes locales (dont les alliances avec les nazis sont occultées) aux prises avec « les deux totalitarismes » également criminels. Une représentation qui implique que l’on ignore ou minimise le combat de la grande majorité des combattants ukrainiens au sein de l’Armée Rouge multinationale.
La « concurrence des victimes » joue chez nous comme elle a joué en Union soviétique lorsque « l’holocauste » (juif) aujourd’hui reconnu fut passé sous silence. Ainsi, le « Livre noir » composé après la guerre par le duo Ehrenbourg-Grossman sur le thème des exterminations a été successivement censuré (intéressant à noter : on a notamment coupé des passages faisant état de la collaboration nazie locale, en Ukraine) puis finalement interdit à la publication en 1948 lors de la campagne « anticosmopolite », antisioniste et antisémite déclenchée par le pouvoir stalinien.1 Dont il résulta, entre autres, la liquidation du « Comité antifasciste juif » et l’occultation du judéocide en tant que tel. Les monuments érigés en URSS à la mémoire des victimes du nazisme ne mentionnaient pas leurs origines ethniques, ce qui permettait d’éviter que soit mis en relief le caractère spécifique de l’extermination des Juifs.
Tout cela est souligné dans le film d’ARTE de façon à mettre en évidence l’antisémitisme d’état stalinien, qui n’est pas une légende, mais n’a évidemment rien à voir avec l’antisémitisme nazi, visant à l’éradication d’une « race ».
ANTISEMITISME SOVIETIQUE ?
On a pu lire, récemment et plus d’une fois, que Staline « avait pris le relais » de l’antisémitisme nazi, qu’il avait « déporté » les Juifs au Birobidjan ou qu’il s’apprêtait à le faire en 1953. Comment faire la part du réel et du fantasme ? Quels sont les faits essentiels à prendre en compte ?
S’agissant « du » ou plutôt « des » régimes soviétiques, il faut distinguer plusieurs périodes. Lors de la révolution et jusqu’au milieu des années trente, des Juifs participent, en grand nombre, à la formation de l’état soviétique, sont surreprésentés dans le parti, l’appareil, le NKVD mais aussi dans la culture et les sciences. Si l’hébreu est interdit, la religion juive persécutée comme les autres, la langue yiddish est largement pratiquée et enseignée dans le « yiddishland », c’est l’une des quatre langues officielles en Biélorussie. Alors même que l’idéologie soviétique prône l’assimilation et condamne le sionisme et le bundisme, de curieuses initiatives officielles (sionisme soviétique ?) font, d’abord attribuer des territoires de Crimée aux communes et kolkhozes juifs (un projet de république juive en Crimée est discuté mais se heurte à l’opposition des populations locales, notamment russes et tatares), ensuite « offrir » aux habitants du Yiddishland un territoire d’Extrême-orient, une « Région Autonome Juive », capitale Birobidjan. Des dizaines de milliers de Juifs y sont allés volontairement, beaucoup en sont revenus et, après 1991, ont émigré en Israël. Le centralisation stalinienne des années trente a progressivement mis fin à ces tendances à l’autonomisation culturelle et au pluralisme linguistique, au profit de la russification et de l’exaltation du chauvinisme grand russien. Les nationalismes ont été durement réprimés, y compris parmi les Juifs et au Birobidjan. Entre 1948 et la mort de Staline, c’est un véritable antisémitisme d’état (sous couvert d’ « antisionisme » et d’ « anticosmopolitisme ») qui se met en place, illustré par l’exécution des dirigeants du Comité Antifasciste Juif créé pendant la guerre. Ce qui n’empêche la présence, au sein du groupe dirigeant stalinien, de Lazare Kaganovitch, un juif considéré comme responsable de la famine de 1932-33 par les ultrnationalistes ukrainiens toujours obsédés par « le génocide des Ukrainiens » que « les kike » (youpins) n’en finiraient pas de commettre.
Il faut, en l’occurrence, distinguer trois sortes d’antisémitisme, influents ou résurgents en URSS :
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La judéophobie religieuse traditionnelle, chrétienne (ou musulmane).
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L’antisémitisme nationaliste (russe, ukrainien etc…) qui désigne les Juifs comme un corps étranger à la nation, et qui « justifie » déjà les grands pogromes de la guerre civile. (1918-22)
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L’antisémitisme éradicateur, génocidaire, propagé par les nazis.
L’antisémitisme qui se répand en URSS pendant et après la guerre se nourrit à ces trois sources.
La campagne anticosmopolite de 1948-53 s’inscrivait dans un contexte politique de lutte contre toutes formes de nationalismes et « d’intelligence avec l’ennemi », dans le climat hautement paranoïaque de la « citadelle assiégée ». Mais cette position officielle est également le prétexte, pour les nationalistes antisémites infiltrés dans l’appareil, de recycler leur haine du « judéobolchévisme », à l’heure où Staline fait déporter en masse les nationalistes et des populations accusées, à tort ou à raison, de « collaboration nazie » : Ukrainiens, Baltes, Tatares de Crimée, Tchétchènes etc…A cette même époque (la guerre) on peut considérer que des millions de Juifs restés en URSS ou évacués, de gré ou de force, des territoires en voie d’occupation nazie, ont été sauvés du génocide !
Après la mort de Staline, les principales « nationalités » de l’URSS ont progressivement retrouvé de l’autonomie, restauré l’usage des langues nationales (avec des réussites inégales) et diverses institutions qui serviront de foyers d’indépendantismes dans les années 1980. Le Yiddish et sa littérature n’ont connu qu’un regain très marginal, la très grande majorité des Juifs urbanisés étant de langue et de culture russes. Beaucoup ont émigré en Israël. Le « Birobidjan » existe toujours, avec le yiddish « langue officielle » (avec le russe), mais très peu de Juifs. La presse russe nous a néanmoins signalé, récemment, qu’il y avait quelques retours d’Israël et que nombre de Russes de la région se considéraient maintenant comme « juifs »…
Une remarque de fond pour finir.
L’œuvre de Vassili Grossman nous invite à réfléchir aux formes de tyrannie et d’obscurantisme auxquelles ont donné lieu, dans l’histoire, aussi bien les fascismes générés par des bourgeoisies aux abois que les « socialismes réels » dérivés des révolutions, dans un contexte qui est aussi celui des deux guerres mondiales et, en amont comme en aval, des guerres coloniales et impérialistes.
Les comparaisons entre « dictatures » n’ont rien de tabou : les dictatures hitlérienne et stalinienne ont été « comparées » dans des travaux de leurs historiens Ian Kershaw (pour Hitler) et Moshe Lewin (pour Staline) sans jamais verser dans l’amalgame. Si l’on peut parler de « tentations totalitaires » au cœur de certaines religions et d’idéologies, de sectes et de pouvoirs autoritaires, si l’uniformisation des modes de vie et de pensée peut aussi découler du comportementalisme propre à la mondialisation techno-marchande, il n’est pas apparu à ces historiens, et à beaucoup d’autres analystes des sociétés soumises aux règnes fasciste ou stalinien que le concept de « totalitarisme » serve à davantage qu’à des polémiques, stériles pour l’intelligibilité de ces sociétés, mais de bonne guerre dans les confrontations idéologiques.
Or, c’est ce dont procède le documentaire d’ARTE, notamment vers la fin, lorsque les commentaires lourdement « totalitaristes » s’accompagnent d’une alternance d’images de défilés soviétiques et nazis sur fond musical du chant révolutionnaire international « La Varsovienne ». (« A los Barricados » en Espagne). Si « nazisme » était égal à « stalinisme », Grossman n’eut-il pas été interchangeable avec un officier de la Wehrmacht ou de la SS ?
Imaginons plutôt : un écrivain-combattant nazi, participant au génocide que dénonce Grossman, mais réfléchissant aux dangers de la tyrannie dans les deux camps, tout en restant fidèle au sien, nazi ?
Faut-il rappeler que Vassili Grossman était officier de l’Armée Rouge et que plusieurs de ses œuvres antérieures à « Vie et Destin » contenaient des passages élogieux pour Staline ? Sa vie et son destin furent rien moins que linéaires.
JEAN-MARIE CHAUVIER février 2018
1Sur l’histoire du “Livre Noir”, cf: http://shoah-solutionfinale.